HEYNOWSKI et SCHEUMANN, L’IMPOSTURE

Mise en ligne en mars 2014, dernières modifications le 9 juin 2014.

           – CHILI – RDA  – WALTER HEYNOWSKI  ET  GERHARD SCHEUMANN : DEUX IMPOSTEURS ET 40 ANS D’IMPOSTURE

« Mais nous devons ajouter que ce stratagème aurait pu mal tourner pour nous… » (Interview de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, 1975).

« Chaque film a une histoire, qui est Histoire » (Marc Ferro, 1976)

Erreur sur la personne : Walter Heynowski et Gerhard Scheumann étaient à Berlin-Est pendant que Miguel Herberg réalisait l'"exploit" célébré par Marcel Niedergang.

Erreur sur la personne :
Walter Heynowski et Gerhard Scheumann étaient à Berlin-Est pendant que Miguel Herberg réalisait l' »exploit » célébré par Marcel Niedergang.

I – 1 :  Quotidien Le Monde : erreur sur la personne

Le 23 septembre 1975, Marcel Niedergang, journaliste réputé  – son ouvrage “Les vingt amériques latines” a longtemps fait autorité – signait dans Le Monde, à l’occasion de sa sortie à Paris, une critique de J’étais, je suis, je serai (ici, sa version en espagnol – Yo he sido, yo soy, yo seré –, accessible sur Internet), documentaire sur le Chili de la junte militaire réalisé par Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, documentaristes vedettes de la RDA (l’ex Deutsche Demokratische Republik, DDR).

Dans ce documentaire tourné pour l’essentiel en janvier et février 1974, Marcel Niedergang voyait «d’abord le récit d’un exploit bâti sur une ruse» – l’exploit de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann. Ils auraient réussi à gruger le général Pinochet et le général Lagos (voir la note 1 à propos de Joaquín Lagos) et à pénétrer et filmer les camps de Chacabuco et Pisagua où étaient retenus des centaines de prisonniers politiques, des “prisioneros de guerra” selon la terminologie de la junte. Ceci, bien que le dictateur leur ait accordé une autorisation de circuler dans le Nord du pays qui spécifiait « sin visita de detenidos » (sans visite de détenus).

Une semaine avant, Samuel Lachize parlait d’un «chef-d’œuvre de reportage, un chef d’œuvre tout court», un «tour de force cinématographique», «l’évènement de l’année» dans la rubrique cinéma de L’Humanité dimanche, l’hebdomadaire du Parti communiste français, et citait les noms des héros : «Walter Heynowski, Gerhard Scheumann et Peter Hellimch ». « Les trois cinéastes de la République démocratique allemande, grâce à une astuce, expliquée dès le début, ont réussi à pénétrer dans les camps de concentration, notamment à Chacabuco et Pisagua (…)».

Philippe Bouvard, peu soupçonnable de sympathies a priori pour les communistes, redoublait lui aussi d’admiration dans le France-Soir du 17 septembre 1975 pour Walter Heynowski et Gerhard Scheumann. Bouvard parlait d’ «un exploit sans précédent» des deux journalistes de la République démocratique allemande dont «on parlera pendant des années».

Quarante après, 11 septembre 2013 : à la suite de l'interview de Walter Heynowski, le correspondant à Madrid du Neues Deutschland, Ralf Streck, présente une version plus proche de la vérité, celle de Miguel Herberg.

Quarante après, 11 septembre 2013 : à la suite de l’interview de Walter Heynowski, le correspondant à Madrid du Neues Deutschland, Ralf Streck, présente une version plus proche de la vérité, celle de Miguel Herberg.

En effet… quarante ans après on en parle encore… mais pour dire qu’il y avait erreur sur la personne. Les fameux documentaristes de la RDA, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, n’étaient que deux imposteurs. Aucun des deux n’est entré au Chili après le coup d’état militaire du 11 septembre 1973 – ils  n’y ont pas séjourné depuis avril 1973 – , et ils ont encore moins pénétré dans les camps de Chacabuco et Pisagua en février 1974. Ils étaient alors – loin du désert torride du nord du Chili – dans le froid hivernal de Berlin-Est, à l’abri du risque.

Heynowski a mis 40 ans à le reconnaître (Mathias Remmert, producteur du film l’avait déjà dit devant Isabel Mardones). Walter Heynowski l’a fait dans une  interview publiée par Neues Deutschland le 11 septembre 2013 :

«Gerhard Scheumann und ich kamen nach dem Putsch nicht mehr nach Chile hinein, … (Gerhard Scheumann et moi ne sommes plus retournés au Chili après le putsch, …)»

Notons d’ailleurs que Walter Heynowski, en reconnaissant enfin quarante après que lui et Scheumann ne sont plus «retournés au Chili après le Putsch» et n’ont donc jamais filmé dans les camps de prisonniers de Chacabuco et de Pisagua, suggère encore qu’ils y étaient pendant le putsch. En réalité, Heynowski et Scheumann ne sont jamais retournés au Chili depuis leur seul séjour de fin février à début avril 1973.

Janvier 1974, camp de prisonniers de Chacabuco : Miguel Herberg au pied de l’hélicoptère Sikorsky Chickasaw mis à sa disposition par le Général Joaquín Lagos Osorio.
(Photo Peter Hellmich, avec l’appareil Nikon F de M. Herberg, Archives Herberg).

Exploit, il y avait donc, mais on le devait au journaliste Miguel Herberg-Hartung, citoyen espagnol qui seul avait eu l’initiative et le contrôle de ces audacieux reportages. Il était accompagné d’une équipe technique formée par le caméraman Peter Hellmich, citoyen de l’Allemagne de l’Ouest, et le preneur de son Manfred Berger, citoyen autrichien. Ces deux collaborateurs réguliers du Studio Heynowski & Scheumann ni ne parlaient ni ne comprenaient la langue espagnole. S’ils ont encouru les risques associés aux téméraires reportages de Miguel Herberg, Peter Hellmich et Manfred Berger n’ont pas eu le moindre rôle dans leurs directions et  leurs organisations.

I – 2 : Musée de la mémoire et des Droits de l’Homme (Santiago) : près de 40 ans après, la même erreur sur la personne.
Inauguré le 11 janvier 2010 par la présidente Michelle Bachelet, le Musée de la Mémoire dispose d’un important centre de documentation  (CEDOC) ouvert aux chercheurs. Il réunit des documents des années 1973-1999 sur l’histoire de la dictature. Le musée dispose des copie des films réalisés sur le Chili par le Studio Heynowski & Scheumann et notamment la version française de “Ich war, ich bin, ich werde sein”.

Site Internet du Musée de la mémoire (Santiago), à la date du 5 mars 2014.
Fiche du film « J’étais, je suis, je serai » :
«… Les documentaristes de la RDA [Walter Heynowski et Gerhard Scheumann] ont trafiqué leurs documents d’identité pour se faire passer pour des cinéastes de la RFA ».
Le texte de la fiche a depuis été changé.

Dans la fiche associée à ce film (voir illustration  ci-contre, extraite du site du musée en mars 2014), le musée reprend la légende des faux passeports et des deux héros Heynowski et Scheumann mise au point en RDA. Quand le Musée de la mémoire fait circuler « Yo he sido, yo soy, yo seré » au Chili en 2010, la présentation du documentaire fait toujours état de cette légende Heynowski-Scheumann, ainsi dans ce compte rendu de la présentation du film à l’Université de Valparaiso (fichier pdf : Documental sobre campos de concentración en Chile se exhibió en (…) Universidad de Valparaíso). Comme le journaliste du Monde en 1975, le Museo de la memoria reste près de 40 ans après prisonnier du même mensonge construit en RDA, l’imposture des deux documentaristes.

En 2010, on pouvait encore de bonne foi commettre cette erreur, mais plus aujourd’hui, après la polémique qui a opposé en 2012 Miguel Herberg avec les soutiens chiliens de Walter Heynowsky et Gerhard Scheumann. Il faut au directeur actuel du musée, Ricardo Brodsky, une mauvaise foi caractérisée pour refuser de reconnaître à Miguel Herberg Hartung son statut d’auteur des reportages à Chacabuco et Pisagua, reportages utilisés par Heynowsky et Scheumann pour réaliser Yo he sido, yo soy, yo seré. Avec son centre de documentation CEDOC, le Musée de la mémoire dispose d’un outil pour poursuivre des recherches sur les années noires de la dictature. S’entêter à affirmer le faux et participer activement à cacher la vérité sur l’imposture d’Heynowski et Scheumann c’est décrédibiliser le Musée et lui rendre un mauvais service.

                          I – 3 : Jean-Luc Godard et Chris Marker contre Walter Heynowski et Gerhard Scheumann

Dans l’histoire du documentaire politique et militant, l’imposture de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann fera date. Cette imposture concerne en effet non seulement le film cité ci-dessus (titre original, Ich war, ich bin, ich werde sein), mais la majorité des dix films et courts-métrages réalisés sur le Chili de 1974 à 1983 par les deux documentaristes de l’Allemagne de l’Est.

Cette imposture s’est installée dans la durée. Encore aujourd’hui, elle est défendue avec acharnement au Chili même, notamment par les directeurs de la Cineteca nacional de Chile et de la Cineteca de la Universidad de Chile, par la directrice de la Cinemateca del Goethe Institut de Santiago et le directeur du Museo de la memoria y de los derechos humanos, et par le plus célèbre et célébré des documentaristes chiliens. L’imposture a été défendue depuis quarante ans par la presse chilienne de gauche, comme celle de droite.

Deux images de "Camera eye" de Jean Luc Godard ("Loin du Vietnam", Chris Marker, 1967). Y être, ou ne pas y être : loin du Vietnam, Jean-Luc Godard donne une magistrale leçon d'éthique du documentariste. Que ce soit au Chili, ou loin du Chili, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann restent deux imposteurs. Voir "Camera eye" à : http://www.youtube.com/watch?v=dzkzO9jKkgY

Deux images de « Camera eye » de Jean Luc Godard (« Loin du Vietnam », Chris Marker, 1967).
Y être, ou ne pas y être : loin du Vietnam, Jean-Luc Godard donne une magistrale leçon d’éthique du documentariste.
Que ce soit au Chili, ou loin du Chili, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann restent deux imposteurs.
Voir « Camera eye » à :
http://www.youtube.com/watch?v=dzkzO9jKkgY

Ce type d’imposture cinématographique dans les documentaires politiques et militants – se vanter d’avoir pris les risques d’y être, alors qu’on y est pas – est évoqué par Jean-Luc Godard dans le film “Loin du Vietnam” réalisé en 1966 à l’initiative de Chris Marker.

Le choix même du titre de ce film, Loin du Vietnam, auquel ont aussi participé Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Alain Resnais et Agnès Varda, était celui de la modestie : solidaires des vietnamiens, nous restons à l’abri… loins du Vietnam, loins des bombes américaines.

Dans “ Camera eye, la partie de Loin du Vietnam  confiée à Jean-Luc Godard, celui-ci fait d’abord croire qu’il est allé au Vietnam in personam et, cinéaste courageux, a risqué sa vie en plantant sa caméra sous les bombes de deux chasseurs-bombardiers F-105 Thunderchie pour filmer en direct la réaction des vietnamiens aux bombardements US : « Il y a une fusée F-105 qui  a passé… avec un miaulement… vraiment à un mètre au dessus de la… de nos têtes ». Puis, un travelling arrière suffit à faire comprendre la supercherie : l’oeil collé à sa caméra, Jean-Luc Godard était simplement filmé sur un toit de la capitale française… «Mais j’habite Paris… et je ne suis pas allé au Vietnam», précise Jean-Luc Godard. Suit une réflexion sur la déontologie et l’éthique du cinéaste, plus précisément sur celles du documentariste – y être ou ne pas y être –, une leçon magistrale que n’ont pas suivie Walter Heynowski et Gerhard Scheuman et que méconnaissent les soutiens chiliens des imposteurs.

Documentaristes in absentia, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann se sont prétendus les auteurs de reportages exceptionnels, ceux dont Miguel Herberg est le véritable auteur. Dans leur film, la souffrance des victimes – celle des prisonniers de Chacabuco et plus encore celle des prisonniers de Pisagua – est d’abord utilisée pour faire-valoir leur propre “héroïsme” de pacotille…

"Une erreur à corriger dans l'histoire du cinéma" par Danilo Trelles. Catalogue du Festival de Trieste, 1993.

« Une erreur à corriger dans l’histoire du cinéma » par Danilo Trelles.
Catalogue du Festival de Trieste, 1993.

I – 4 : Témoin privilégié, Danilo Trelles avait tout dit en 1993

Le 23 janvier 1992, Isabel Allende envoyait un fax à Miguel Herberg : «À través de Danilo Trelles, he tenido conocimiento que Ud posee material audiovisual sobre Chile durante la época de la dictatura» [J’ai su par Danilo Trelles que vous détenez un matériel audiovisuel qui concerne le Chili sous la dictature]. Le matériel que Danilo Trelles avait évoqué devant la fille du Président Salvador Allende est celui tourné en janvier et février 1974 sous la direction d’Herberg.

En 1993, Danilo Trelles évoque à nouveau le travail de Miguel Herberg sous la dictature à l’occasion du 8e festival du cinéma latino-américain de Trieste. À l’occasion du 20e anniversaire du coup d’État, le festival a en effet choisi de présenter “l’œuvre” chilienne de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann.

Dans le catalogue de présentation de ce festival, un article (en italien) de Danilo Trelles, citoyen uruguayen, intitulé  « Una ‘errata corrige’ nella historia del cinema » (« Une erreur corrigée dans l’Histoire du Cinéma »)rétablissait la vérité sur les conditions de tournage des documents utilisés par Heynowski et Scheumann : «les splendides séquences tournées par Herberg ont intégré ensuite la longue série des films réalisés par Heynowski et Scheumann». Danilo Trelles expliquait dans le texte ci-contre (ici en fichier pdf) comment le matériel dont les deux imposteurs se vantaient de l’avoir tourné eux-mêmes en prenant tous les risques associés à ces dangereux reportages devait en réalité tout à Miguel Herberg-Hartung.

Catalogue du Festival du Cinéma latino-américain de Trieste, 1993.

Catalogue du Festival du Cinéma latino-américain de Trieste, 1993.

Dans le même catalogue, la direction du festival de Trieste mettait les points sur les « i » et «Souhaitant restituer maintenant à chacun son propre rôle», parlait de films documentaires, certes réalisés par le Studio Heynowski & Scheumann mais avec des documents “effettuate personalmente” (réalisés personnellement) par Miguel Herberg avec le caméraman Peter Hellmich. Le catalogue soulignait aussi l’audacieuse intrusion de Miguel Herberg dans le mouvement Patria y Libertad, objet d’un film réalisé par Heynowski et Scheumann.

Sur l’agenda de M. Herberg, une des nombreuses mentions de Danilo Trelles. Sur la page du 24 mars 1973, l’extrême-droite chilienne est présente avec Andrès Martorell de Chile Film, futur inconditionnel de la dictature ; Erwin Robertson, passage obligé pour interviewer le général Roberto Viaux ; John Schäffer et Ernesto Müller, piliers de Patria y Libertad…
Le soir, Herberg joint Danilo Trelles et le met au courant de ses interviews et rencontres du jour.

Sur l’agenda de M. Herberg, une des nombreuses mentions de Danilo Trelles. Sur la page du 24 mars 1973, l’extrême-droite chilienne est présente avec Andrès Martorell de Chile Film, futur inconditionnel de la dictature ; Erwin Robertson, passage obligé pour interviewer le général Roberto Viaux ; John Schäffer et Ernesto Müller, piliers de Patria y Libertad…

Danilo Trelles, l’auteur de cette errata corrige était basé au Chili pendant l’Union populaire et a été un témoin privilégié du travail de Miguel Herberg dans ce pays en 1973. Les nombreuses mentions de son nom sur les agendas d’Herberg en attestent (exemple ci-contre). Il nous a été confirmé Par Renzo Rossellini, que c’est chez lui à Rome, en 1971, que Miguel Herberg avait fait la connaissance de Danilo Trelles.

Des documentaristes chiliens comme Patricio Guzmán et Pedro Chaskel, premiers et fidèles soutiens des deux imposteurs de l’ex-RDA, ont difficilement pu ignorer le catalogue 1993 d’un festival qui compte pour les cinéastes latino-américains. Ceci d’autant plus que la voix de Danilo Trelles, mort en 2000 et aujourd’hui un peu oublié, n’est pas n’importe laquelle…

Comme nous le précisons ci-dessous (lire la note 2), Danilo Trelles a sa place dans l’histoire du cinéma latino-américain, mais aussi dans l’histoire du mouvement de solidarité avec l’Union populaire et Salvador Allende dont il a été ami. Une solidarité active, aussi bien exprimée avant le coup d’État qu’après, qui donne d’autant plus de poids à son témoignage.

Si l’essentiel sur le rôle de Miguel Herberg a donc déjà été dit publiquement par Danilo Trelles à l’occasion du 8e festival de Trieste, nous apportons aujourd’hui des informations complémentaires et les preuves irréfutables de l’imposture et de la justesse de sa mise au point en 1993.

Ceci fait – on en prendra le temps nécessaire –, on passera au contexte historique de la mise en place de cette imposture, et à l’histoire de l’appui prolongé dont cette imposture a bénéficié, et continue de bénéficier, au Chili, par les institutions mêmes – Musée de la Mémoire, cinémathèques – qui ont le devoir de vérité sur les films et documents qu’ils présentent.

Cette affaire appartient à l’Histoire du cinéma documentaire, à celle des grandes impostures, et à l’Histoire du Chili contemporain. L’affaire Heynowski & Scheumann… Herberg-Hartung vaut d’être étudiée dans les écoles de cinéma documentaire chiliennes et d’ailleurs.

Les films d’Heynowski et Scheumann méritent d’être représentés et étudiés pour ce qu’ils sont à la Cineteca nacional de Chile, à la Cineteca de la Universidad de Chile, à la Cinemateca del Goethe Institut de Santiago, au Museo de la Memoria y los Derechos Humanos ou dans les festivals de cinéma chiliens, en premier lieu au FIDOCS, le principal festival de cinéma documentaire chilien créé et dirigé par Patricio Guzmán. Mais pour cela, il faudra attendre que les directeurs de ces institutions soient enfin capables d’un minimum de lucidité et de bonne foi.

I – 5 : En résumé…

Pendant quarante ans, les deux documentaristes vedettes de la défunte RDA (République Démocratique Allemande), Walter Heynowski et Gerhard Scheumann (Studio H&S), ont prétendu être les auteurs de reportages et d’interviews tournés en 1973 sous l’Union Populaire au sein de l’ultra-droite chilienne qui se préparait au coup d’État du 11 septembre.

Heynowski et Scheumann sont deux imposteurs puisque l’auteur de ces documents – reportages et interviews –, en 1973 sous l’Union Populaire comme en janvier-février 1974 sous la junte militaire, est Miguel Herberg Hartung. Heynowski et Scheumann se prétendaient aussi les auteurs de reportages particulièrement risqués sous la junte militaire. En février 1974, défiant une interdiction explicite du général Pinochet, ils auraient pénétré dans des camps de prisonniers de Chacabuco et Pisagua, au Nord du pays, seraient rentrés au contact et auraient filmé de nombreux détenus. Ces reportages et interviews, dont Heynowski et Scheumann affirmaient être les auteurs, représentent une très grande part des documents significatifs tournés au Chili utilisés par le Studio H&S pour réaliser les dix films et courts-métrages qu’ils ont réalisés sur ce pays entre 1974 et 1983.

Après une violente polémique qui a opposé en 2012 les amis chiliens des imposteurs allemands et Miguel Herberg, ce dernier a déclaré “Yo, ya hice mi trabajo” et a décidé désormais de ne plus intervenir et de se taire. Mais il a accepté de nous ouvrir ses archives et de nous en confier certains documents. Après leurs études, complétées par une enquête approfondie, nous sommes en mesure d’apporter les preuves irréfutables de cette imposture et en démonter l’origine et  les mécanismes.

Le 4 juin 1998, quelques jours après la mort de Gerhard Scheumann, Walter Heynowski et les anciens collaborateurs du Studio H&S faisaient leurs adieux à leur collègue dans Neues Deuschland, et osaient la traditionnelle formule de la gauche chilienne pour rendre hommage à ses héros : Compañero Gerhard, presente ! C’est dire si les exploits de Scheumann au Chili étaient encore revendiqués, et l’imposture toujours cachée par les collaborateurs de l’ancien Studio H&S qui en avaient été les complices volontaires ou obligés (note 3).

Il ne s’agira pas seulement ici de mettre à jour l’imposture de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann pour rendre justice au travail de Miguel Herberg Hartung, il s’agira ensuite de réfléchir au contexte historique et politique de cette imposture, notamment aux mobiles de ceux qui dans l’ex-RDA et encore dans le Chili d’aujourd’hui lui ont permis de s’imposer et de perdurer. En effet, plus de quarante après la mise en place de leur imposture, les imposteurs sont toujours soutenus au Chili, à gauche (mais aussi à droite), … au nom de la mémoire.

– Notre premier souci sera donc d’abord d’établir les faits, de rétablir la vérité de manière irréfutable sur le travail de Miguel Herberg Hartung au Chili.

– Nous travaillerons ensuite sur le contexte et les racines historiques de cette imposture.

– Nous ferons enfin appel à des juristes spécialistes du droit d’auteur qui livreront leurs avis et expertises sur les suites juridiques encore envisageables dans une telle situation.

* *

II – 1 : L’IMPOSTURE ET LES IMPOSTEURS

De 1974 à 1998, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann ont l’un et l’autre affirmé être les journalistes astucieux et téméraires qui avaient in personam interviewé et filmé les leaders de la droite et de l’extrême droite chilienne qui au cours de l’automne et l’hiver 1973 de l’hémisphère Sud se préparaient au coup d’État du 11 septembre. Depuis le décès de Gerhard Scheumann, en mai 1998, jusqu’à très récemment, Heynowski a continué à faire vivre cette fable et à en capitaliser les bénéfices.

Interview de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann par Robert Grelier (revue du Cinéma Image et son n° 298, septembre 1975).
L’imposture est ici flagrante. Les deux imposteurs ne laissent pas le moindre doute : ils évoquent les risques qu’ils ont pris personnellement en filmant dans les camps de Chacabuco et de Pisagua !!!

1975 : l’imposture en français
Les traces en français sont nombreuses d’Heynowski et Scheumann se vantant d’être les journalistes qui, cinq mois après le coup d’État, en février 1974, avaient réussi l’exploit – malgré l’interdiction explicite et manuscrite (« sin visita de detenidos« ) qui leur en avait été faite par le colonel Badiola au nom du général Pinochet – de pénétrer dans des camps de prisonniers de Chacabuco et Pisagua, au Nord du pays, et à entrer au contact et filmer de nombreux détenus. À titre d’exemple, on lira ci-contre un extrait d’une longue interview de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, conduite par Robert Grelier, publiée en septembre 1975 dans la revue Cinéma, Image et son à l’occasion de la sortie de J’étais, je suis, je serai, en France.
Questionnés sur leur exploit par Robert Grelier, les deux imposteurs livrent un grand luxe de détails sur leur modus operandi et concluent avec un naturel désarmant pour des héros restés les pieds dans leurs pantoufles à l’abri du mur de Berlin : «Mais nous devons ajouter que ce stratagème aurait pu mal tourner pour nous…».

« Cuando le [gral Leigh] pedimos que nos presentara… »
« … que pudimos conservar porque disponíamos de una minigrabadora… « 
« Nos hicimos pasar por cineastas de la RFA, utilizamos a nuestras antiguas amistades militares y obtuvimos del proprio Pinochet… « 
Ici encore, les deux imposteurs, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann ne laissent pas place au moindre doute : ils ont personnellement roulé le général Leigh et le général Pinochet.

1979 : l’imposture en espagnol
En 1979, à l’occasion de leur participation à un festival en Espagne, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann  ont fait don à la Filmoteca Nacional de España de leurs neuf premiers films et courts-métrages, de “La guerra de los momios” (1974) à « Mas fuerte que el fuego » (1978). C’est l’occasion d’établir un catalogue de 36 pages entièrement consacré à leur œuvre documentaire. On peut noter que onze des vingt illustrations de ce catalogue concernent le Chili. De ces onze illustrations extraites de leurs films, pas une seule ne correspond à une séquence réellement tournée sous leur direction. En effet, Heynowski et Scheuman ont personnellement peu tourné au Chili.  Dans ce catalogue, les présentations de leurs films sont accompagnées d’interviews où ils s’attribuent des exploits qui n’ont jamais été les leurs. Ils s’y vantent à plusieurs reprises d’avoir passé outre aux interdictions du général Pinochet de rencontrer des prisonniers et à celles du général Leigh d’interroger les pilotes qui avaient bombardé Le palais de La Moneda. Ils détaillent les moyens qu’ils ont mis en œuvre  pour accomplir ces exploits : «En realidad hemos utilizado todo typo de falsificaciones de documentos y trucos tecnológicos diversos : micrófonos ocultos, potentes teleobjectivos, etc (…)» [En réalité nous avons utilisé différents types de faux documents et des trucs technologiques divers : microphones cachés, puissants téléobjectifs, etc.].

Octobre 2013, Filmoteca nacional de España : Ramon Rubio (en premier plan) et Jean-Noël Darde.
Visionnage de documents filmés sous la direction de Miguel Herberg. Ici, l’interview du général Cano en février 1974.

Walter Heynowski et Gehrard Scheumann n’ont jamais vu le général Pinochet, ni le général Leigh, ni même conduit une seule interview avec le moindre homme de droite au Chili, que ce soit avant ou après le putsch. Falsificateurs compulsifs et réalisateurs bien à l’abri à Berlin-Est, Heynowski et Scheumann n’ont jamais falsifié le moindre document au Chili, et n’y ont jamais utilisé le moindre “microphone caché” ou “puissant télé-objectif”. S’ils avaient eu le moindre rôle dans l’organisation du travail de Miguel Herberg au Chili, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann auraient su que le modus operandi de ce dernier a exclu la falsification de documents, l’usage de faux papiers d’identité, de mini-enregisteur caché, ou de « puissants téléobjectifs ». Le seul secret de Miguel Herberg a été de se plonger dans l’ultra droite chilienne, certes avec adresse mais à visage découvert.

27 août 2001, Palais de La Moneda : Alfredo Barría Troncoso (à gauche de la photo), Directeur du Festival de Valparaiso et Agustin Squella Narducci (à droite), conseiller culturel de la Présidence et ancien Recteur de l’Université de Valparaiso, présentent Walter Heynowski au Président Ricardo Lagos.
Photo : http://www.cinerecobrado.cl/anteriores/

La démocratie revenue, en recevant le 27 août 2001 Walter Heynowski au Palais de La Moneda, le Président chilien croyait célébrer un héros qui avait risqué sa vie pour témoigner des camps de prisonniers de la junte militaire. Ricardo Lagos n’a reçu qu’un imposteur.

Un imposteur : en février 1974, Walter Heynowski, pas plus que Gerhard Scheumann, n’a posé le pied sur le sol Chilien et encore moins dans un des camps de prisonniers de la junte militaire.

Un imposteur : en 1973, Walter Heynowski, pas plus que Gerhard Scheumann, n’a conduit la moindre interview du moindre représentant de la droite chilienne qui préparait le futur coup d’État. Nous ferons état ultérieurement de l’unique rencontre, un véritable  fiasco, d’Heynowski et Scheumann avec un représentant de cette droite chilienne putschiste à la fin du mois de février 1973.

On conviendra que se faire passer pour des héros sur le dos de la souffrance des centaines de prisonniers de Chacabuco et plus encore de celle des prisonniers de Pisagua a quelque chose de particulièrement méprisable. Walter Heynowski et Walter Scheumann l’ont fait.

Avant les élections du 4 mars 1973 : inauguration de logements par Salvador Allende. À gauche, capture d'image du film El golpe blanco (1975) réalisé par W. Heynowski et G. Scheumann (à 10 mn. 30 sec.). À droite, photo de Miguel Herberg (son négatif figure dans les archives Herberg). Les angles des prises de vue pour le film et la photo sont très semblables. En effet, Herberg qui contrôle l'enregistreur Nagra reste proche de son caméraman Peter Hellmich.

Avant les élections du 4 mars 1973 : inauguration de logements par Salvador Allende.
À gauche, capture d’image du film El golpe blanco (1975) réalisé par W. Heynowski et G. Scheumann (à 10 mn. 30 sec.).
À droite, photo de Miguel Herberg (son négatif figure dans les archives Herberg).
Les angles des prises de vue pour le film et la photo sont très semblables. En effet, Herberg qui contrôle l’enregistreur Nagra reste proche de son caméraman Peter Hellmich.

Ajoutons qu’à s’en tenir au visionnage attentif de leurs dix films et courts-métrages sur le Chili, il ressort qu’Heynowski et Scheumann n’ont pas non plus eu pendant leur unique séjour de quelques semaines dans ce pays en 1973 une activité cinématographique personnelle débordante du côté de l’Union Populaire – essentiellement un reportage dans le Nord du pays avec leur interprète Hanns Stein, l’occasion de récupérer de précieuses archives sur les luttes ouvrières, la naissance du Parti communiste chilien, et sur son fondateur, Luis Emilio Recabarren (avec ceux de Marx et Lénine, le portrait de Recabarren fait partie des images obligées de la plupart des documents réalisés par le Studio H&S sur le Chili).

À l'occasion du même reportage, la photo de Miguel Herberg (à droite), prise sous le même angle que la caméra de Peter Hellmich (à gauche), fera une fois recadrée l'objet d'une affiche du Comité italien de solidarité avec le Chili auquel Herberg participait activement.

À l’occasion du même reportage, la photo de Miguel Herberg (à droite), prise sous le même angle que la caméra de Peter Hellmich (à gauche), fera une fois recadrée l’objet d’une affiche du Comité italien de solidarité avec le Chili auquel Herberg participait activement.

Une part notable des séquences des dix documents du Studio H&S qui concernent l’Union Populaire provient aussi de reportages dont Miguel Herberg est l’auteur principal (Peter Hellmich est le caméraman et Herberg se charge   lui-même du son). Citons comme exemple ce reportage où l’on voit un Allende particulièrement en forme, avec un chapeau de paille (photos ci-dessus et ci-contre), inaugurer de nouveaux logements dans des poblaciones à la veille des élections du 4 mars 1973.

Ce même reportage de Miguel Herberg est cité onze fois dans les dix documents d’H&S : trois fois dans Compatriotas (1974), trois fois dans La guerra de los momios (1974) – dont plus de cinq minutes d’affilé; à un moment, on reconnaît la voix de Miguel Herberg  –, trois fois dans El golpe blanco (1975), une fois dans Mas fuerte que el fuego (1978) et encore une fois dans Con el signo de la araña (1983).

Trois séquences d'un reportage sur Salvador Allende tourné sous la direction de Miguel Herberg en février 1973 (Peter Hellmich à la caméra) sont utilisées par Patricio Guzman dans son film "Salvador Allende" (2004). Ces séquences qui étaient dans les mains du Studio Heynowski & Scheumann ont été fournies à Patricio Guzman par Progress Film. Walter Heynowski et Gerhard Scheumann ont eux-mêmes longuement utilisé ce matériel dans "Der krieg der mumien" (1974, La Guerra de los momios).

Trois séquences d’un reportage sur Salvador Allende tourné sous la direction de Miguel Herberg en février 1973 (Peter Hellmich à la caméra) sont utilisées par Patricio Guzman dans son film « Salvador Allende » (2004).
Ces séquences qui étaient dans les mains du Studio Heynowski & Scheumann ont été fournies à Patricio Guzman par Progress Film. Walter Heynowski et Gerhard Scheumann ont eux-mêmes longuement utilisé ce matériel dans « Der krieg der mumien » (1974, La Guerra de los momios).

Comme on le constate, outre l’utilisation des interviews des leaders de l’ultra-droite par Miguel Herberg, Walter Heynowski et Gerhard Scheuman ont aussi fait  largement usage des reportages qu’il a tournés sur l’Union Populaire. Ajoutons que ce même reportage d’Herberg sur l’inauguration de logements par le président chilien utilisé par Heynowski et Scheumann est aussi repris à trois reprises par Patricio Guzmán dans son documentaire Salvador Allende. (à propos de P. Guzmánvoir note 4).

II – 2 : LES INDÉFECTIBLES SOUTIENS CHILIENS DES DEUX IMPOSTEURS ALLEMANDS

De 2009 à 2012, une succession de projets, d’initiatives et de déclarations de Miguel Herberg sur lesquelles nous reviendrons dans le détail, sans en négliger aucune (note 5) – les unes très légitimes, les autres indiscutablement maladroites, provocatrices et susceptibles d’être mal comprises par des gens de bonne foi et mal informés – ont obligé Walter Heynowski, les anciens du Studio H&S et leurs indéfectibles soutiens chiliens à réviser leur scénario, à réécrire la fable.

Ainsi, les soutiens chiliens d’Heynowski et Scheumann vont avaliser un nouveau scénario imaginé par Mathias Remmert, ancien de la RDA, producteur au Studio H&S de tous les films réalisés par Heynowski & Scheumann sur le Chili.

Isabel Mardones, responsable de la cinémathèque du Gœthe Institut de Santiago, en sera la scripte et en rendra compte sans précaution dans un texte intitulé “Acerca de Miguel Herberg”, validé et mis en ligne en mars 2012 sur le site du Museo de la memoria y de los derechos humanos par son Directeur, Ricardo Brodsky. Ce nouveau scénario toujours aussi mensonger que le précédent traite des rôles respectifs du couple Heynowski-Scheumann, de Peter Hellmich, le nouvel Homme de marbre du documentaire made in RDA, et du rôle de Miguel Herberg :

1) Heynowski & Scheumann : Cette nouvelle version de la fable reconnaît que Walter Heynowski et Gerhard Scheumann n’ont jamais été au Chili sous la dictature. Les deux héros ne peuvent donc pas être entrés dans les camps de prisonniers de Chacabuco et Pisagua en février 1974 et s’être trouvés auparavant face au général Pinochet pour l’interviewer comme ils le prétendaient et s’en vantaient dans le film Ich war, ich bin, ich werde sein et ont continué à s’en vanter pendant près de 40 ans. Qui plus est, Mathias Remmert via Isabel Mardones concède aussi qu’Heynowski et Scheumann n’ont pas non plus réalisé personnellement en 1973 les reportages et interviews au sein de la droite chilienne…

Départ du camp de Pisagua. Peter Hellmich (caméra Arriflex 16 mm.), Manfred Berger (son, enregistreur Nagra). Photo Miguel Herberg. À Pisagua comme à Chacabuco, Herberg a eu l'initiative et a conduit ces reportages. Hellmich et Berger formaient l'équipe technique.

Départ du camp de Pisagua.
Peter Hellmich (caméra Arriflex 16 mm.), Manfred Berger (son, enregistreur Nagra).
Photo Miguel Herberg.
À Pisagua comme à Chacabuco, Herberg a eu l’initiative et a conduit ces reportages. Hellmich et Berger formaient l’équipe technique.

2) Peter Hellmich : Dans cette nouvelle version Remmert-Mardones, Peter Hellmich, caméraman du Studio H&S, devient  le nouvel héros. Il remplace comme tel Heynowski et Scheumann. Au cours de l’été austral 1974, grâce à ses propres contacts, il aurait été l’auteur de l’interview du général Pinochet, l’auteur de l’entretien avec le général Joachim Lagos et des tournages dans les camps de prisonniers de Chacabuco et Pisagua, l’auteur de l’entretien avec le général Leigh et les pilotes du 11 septembre, l’auteur de l’interview comique du général Cano, l’auteur des interviews avec Pablo Rodriguez, John Schaeffer et Federico Willoughby, etc. Au cours de l’année 1973, Peter Hellmich aurait aussi été l’auteur de l’enquête au plus profond de la droite chilienne putschiste, c’est-à-dire l’auteur des interviews de Julio Bazán, du général Alfredo Canales, de Sergio Diez, Onofre Jarpa, Fernando Léniz, Ernesto Miller, Juan-Luis Ossa, Pablo Rodriguez, Orlando Sáenz, John Schaeffer, de l’ancien président Gabriel González Videla, de León Villarín, Federico Willoughby et d’autres… Nous n’avons ici cité que des interviews utilisées dans les films réalisés par Heynowski et Scheumann, nous citerons à une autre occasion toutes les interviews réalisées par Miguel Herberg et non utilisées. Caméraman attitré du Studio H&S depuis 1966, Peter Hellmich bénéficiait d’un passeport Ouest-allemand régulier et était membre du DKP (Deutsche kommunistische Partei) de la RFA. Ne parlant ni ne comprenant l’espagnol, Peter Hellmich aurait, toujours selon la fable, cependant eu accès à cette ultra-droite chilienne en 1973 grâce à des premiers contacts pris avec sa partie germanophone et néo-nazie. Il aurait ainsi bénéficié après le coup d’État de contacts proches de la junte. On nous expliquera par ailleurs que Peter Hellmich a naturellement obéi aux seules précieuses et précises directives de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann – jusqu’aux questions à poser à chacune des interviews –, consignes délivrées depuis leur chambre de l’Hôtel Carrera de Santiago en mars 1973, puis directement de Berlin-Est en juillet et septembre 1973, et en janvier-février 1974.

3) Miguel Herberg : D’une part, Mathias Remmert et Isabel Mardones présentent Miguel Herberg comme un simple traducteur, trouvé on ne sait où et engagé au pied levé en janvier 1974 par l’équipe du Studio H&S pour pallier à l’absence du traducteur habituel d’Heynowski et Scheumann, Hanns Stein, chanteur lyrique membre du Parti communiste chilien réfugié en RDA après le coup d’État. D’autre part, de manière un peu contradictoire, Isabel Mardones, relayant les affirmations de Mathias Remmert, concède que celui qui interviewe les prisonniers de Chacabuco et Pisagua dans le film « Yo he sido, yo soy, yo seré » – est dont il est évident à voir le film que le rôle n’est  en rien celui d’un « traducteur » – est bien Miguel Herberg. Sa voix est, selon Mathias Remmert cité par Isabel Mardones, « reconnaissable entre cent… ».  Quant à l’année 1973, le compte est vite fait, si l’on s’en tient aux propos d’Isabel Mardones, c’est dit et répété, Miguel-Herberg-n’a-jamais-mis-les-pieds-au-Chili-en-1973  :

4 avril 1973 : interview du général Roberto Viaux par Miguel Herberg à la prison de Santiago (Photo de Peter Hellmich avec le Nikon F de Miguel Herberg). Camera : Peter Hellmich. Interview et son : Miguel Herberg). Image et son ont été déposés en 2010 par Miguel Herberg à la Filmoteca Nacional de España.

4 avril 1973 : interview du général Roberto Viaux par Miguel Herberg à la prison de Santiago (Photo de Peter Hellmich avec le Nikon F de Miguel Herberg). Camera : Peter Hellmich. Interview et son : Miguel Herberg). Image et son ont été déposés en 2010 par Miguel Herberg à la Filmoteca Nacional de España.

«Según me contó Mathias Remmert en la entrevista, Miguel Herberg, quien vivía en Roma, debería haber estado en Chile en 1973 pero no pudo veniren febrero de 1974 si estuvo aquí. Transcribo lo que me dijo Remmert : […] «El [Miguel Herbergdebería haber ido el 73 a Chile, pero por algún motivo no fue […] En ningún caso estuvo el 73 en Chile. El 74 si estuvo. Uno se da cuenta cuando escucha la película en español. Ahí está su voz y la reconozco entre cientos. »

Gardons en mémoire qu’à travers les déclarations de Mathias Remmert, Isabel Mardones répète à trois reprises que Miguel Herberg n’est jamais allé au Chili en 1973… Position validée et reprise par Ricardo Brodsky, directeur du Museo de la memoria y de los derechos humanos, quand il met le texte d’Isabel Mardones, Acerca de Miguel Herberg, en ligne sur le site de ce musée.

On aura compris qu’il était et reste nécessaire que Miguel Herberg n’ait pas posé les pieds au Chili de toute l’année 1973, pour laisser, dans la première version, Heynowski et Scheumann travailler en personne dans l’ultra-droite chilienne et se revendiquer comme auteur des reportages; puis aujourd’hui, à défaut d’Heynowski qui s’est désisté, désigner Peter Hellmich comme auteur principal de ce même travail

Ce second scénario, ou nouvelle version de la fable, a été, à quelques variantes près, reprise le 11 septembre 2013, mais cette fois par Walter Heynowski lui-même dont le Neues Deutschland a publié une interview à l’occasion du 40e anniversaire du Coup d’état.

Neues Deutschland du 11 septembre 2013 : interview de Walter Heynowski.

Neues Deutschland du 11 septembre 2013 : interview de Walter Heynowski.

Dans cette interview (ici, en fichier pdf), Heynowski ment encore sur plusieurs aspects de cette affaire avec beaucoup d’aplomb, mais reconnaît cependant que lui et Scheumann – ils s’étaient vantés pendant près de quarante ans d’avoir interviewé Pinochet, l’avoir berné et avoir questionné et filmé les détenus des camps de Chacabuco et Pisagua – n’avaient jamais vu, ni de près ni de loin, Pinochet, pas plus que les prisonniers des camps de Pisagua et Chacabuco, et avaient encore moins parlé avec eux  :

«Gerhard Scheumann und ich kamen nach dem Putsch nicht mehr nach Chile hinein, anders Peter Hellmich. Wir haben ihm gesagt: Peter, du bist unser Auge.

Trad. : Gerhard Scheumann et moi ne sommes plus retournés au Chili après le putsch, contrairement à Peter Hellmich. Nous lui avons dit : Peter, tu seras nos yeux.» *

Avec le soutien actif du SED (le parti au pouvoir en RDA), mais aussi celui du Parti communiste chilien et du Parti communiste français, puis du Parti communiste italien — nous montrerons des traces de la mise en place de cette imposture dans Neues DeutschlandL’HumanitéFrance-NouvelleL’Unità, etc. Dans les années qui ont suivi le coup d’État au Chili on a construit deux héros communistes qui n’étaient que des imposteurs.

L’imposture lancée, comme c’est souvent le cas dans ce type de situation (note 6), il ne sera jamais plus question d’y revenir. Au Chili, Hanns Stein, Pedro Chaskel, Patricio Guzmán et d’autres, disciplinés ou tenus, apporteront leurs témoignages, pour l’essentiel des faux témoignages.

En 2012, pour contrer le récit de Miguel Herberg et renforcer la vérité officielle qui présentait les camarades de l’ex-RDA Heynowski et Scheumann comme des super-héros, Hanns Stein, le chanteur lyrique du PC chilien, Isabel Mardones, directrice de la Cinémathèque du Goethe Institut de Santiago, Patricio Guzmán et Pedro Chaskel, cinéastes, ont repris du service et on a mobilisé deux spécialistes des archives cinématographiques chiliennes – Ignacio Aliaga, directeur de la Cineteca Nacional de Chile et du Centro Cultural Palacio La Moneda et Luis Horta, professeur et coordinateur  de la Cineteca Universidad de Chile. L’opération ayant l’appui décisif du contrôleur le plus officiel de la mémoire chilienne, Ricardo Brodsky, directeur du Museo de la Memoria y los Derechos Humanos.

Hanns Stein, Pedro Chaskel, Patricio Guzmán, Isabel Mardones, Ignacio Aliaga, Luis Horta et Ricardo Brodsky ont ainsi dénoncé Miguel Herberg sous des formes diverses. Brodsky  et Guzmán ont été les plus virulents et, comble du cynisme, c’est Miguel Herberg qui s’est vu traiter d’impostor. La presse chilienne de gauche (quotidiens et magazines, presse en ligne) a, à de rares exceptions près, suivi les yeux fermés et les journalistes de la presse de droite n’ont pas fait plus d’effort que ceux de la presse de gauche pour enquêter avec sérieux sur les revendications de Miguel Herberg comme auteur des reportages qui ont nourri les films d’H&S.

Un des aspects parmi les plus intéressants de cette affaire est que la droite chilienne tient tout autant que la gauche à conserver à Walter Heynowski et Gerhard Scheumann cette réputation de journalistes audacieux. Nous reviendrons sur ce dernier aspect et en proposerons une explication.

Il ne s’agira donc pas seulement ici de prouver cette imposture et de rendre justice à Miguel Herberg, il s’agira aussi, et surtout, de réfléchir au contexte historique et politique de cette imposture, notamment aux mobiles de ceux qui dans l’ex-RDA comme au Chili lui ont permis de perdurer et de s’imposer aujourd’hui encore, plus de quarante après sa mise en place, ceci… au nom de la mémoire, d’une mémoire sous strict contrôle.

II – 3 : « Chaque film a une histoire, qui est Histoire »

« Chaque film a une histoire, qui est Histoire ». Ce propos en 1976 de Marc Ferro, historien pionnier dans l’étude et la réflexion autour des corpus cinématographiques, inspire notre démarche et nos recherches autour du cas Heynowski, Scheumann… Herberg. Nous traiterons les dix films et courts-métrages réalisés entre 1973 et 1974 par le studio H&S sur le Chili. Neuf de ces documents – il semble manquer Con el signo de la araña (1983) qui présente les reportages de Miguel Herberg sur le mouvement néo-fasciste Patria y Libertad – ont été remis au Chili en 2003 par Progress-Film (Progress film a l’exclusivité des archives de la DEFA, organisme d’État de l’ex-RDA qui contrôlait la production cinématographique). Ces films sont accessibles et régulièrement présentés à Santiago et ailleurs au Chili par la Cineteca Nacional de Chile et le Museo de la memoria y de los derechos humanos. Il vaut la peine de reprendre in extenso le paragraphe du texte de Marc Ferro dans lequel est inclus « Chaque film a une histoire, qui est Histoire« , tant il paraît s’accorder au cas Heynowski, Scheumann… Herberg :

«Ainsi, comme tout produit culturel, comme toute action politique, comme toute industrie, chaque film a une histoire qui est Histoire, avec son réseau de rapports personnels, son statut des objets et des hommes, où privilèges et corvées, hiérarchies et honneurs sont réglés; profits de gloire, profits d’argent ici son réglementés avec la précision et suivant le rite d’une charte féodale : guerre ou guérilla entre acteurs, réalisateurs, producteurs, qui est d’autant plus cruelle que sous le drapeau de l’Art, de la Liberté et dans la promiscuité d’une aventure commune, nulle entreprise industrielle, militaire, politique ou religieuse ne connaît un écart aussi intolérable entre l’éclat et la fortune des uns et l’obscure misère des autres artisans de l’œuvre.»

« Intolérable » en effet, est le sort fait par Walter Heynowski, Gerhard Scheumann et leurs affidés chiliens à Miguel Herberg Hartung, principal artisan des exceptionnels reportages utilisés dans les fims réalisés par Heynowski et Scheumann sur le Chili.

Historien du cinéma, Marc Ferro est aussi un spécialiste de l’histoire de l’URSS, du communisme et de la propagande. Nous verrons au cours de notre étude que cet extrait du livre de Marc Ferro (un recueil de textes réunis sous le titre Cinéma et Histoire – 3e édition,1993, Gallimard) est loin d’être la seule partie de cet ouvrage à faire écho aux conditions historiques et politiques de l’imposture des documentaristes de l’ex-RDA. En effet, le Studio H&S doit d’abord être compris comme un outil de propagande soumis aux impératifs et à la ligne politique du parti. Selon Ruediguer Steinmetz de l’Université de Leipzig (Dokumentarfilm zwischen Beweis und Pamphlet. Heynowski & Scheumann und Gruppe Katins, 2003), Gerhard Scheumann était lui-même un membre actif de la STASI, police politique de l’ex-RDA, ce que d’ailleurs Isabel Mardones est bien obligée de concéder.

*  *  *

À VENIR…

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III – 1 : La mauvaise foi abyssale de directeurs d’institutions responsables de la mémoire chilienne :

Avant de s’interroger sur les raisons de ceux qui ont couvert et continuent à couvrir cette imposture, il n’est pas inutile de mettre en évidence la dimension abyssale de leur mauvaise foi.

La voix de Miguel Herberg à la première minute du film "La guerra de los momios" (en RDA, premier film de H&S sur le Chili, "Der Krieg der Mumien" est sorti en mars 1974 ) : 0 mn. 45 sec. à 1mn. 20 sec. : – Para Ud, qué es un Momio ? – ... Qué ? – ... Un momio, qué es ?

La voix de Miguel Herberg à la première minute du film « La guerra de los momios » (en RDA, premier film de H&S sur le Chili, « Der Krieg der Mumien » est sorti en mars 1974 ) :
0 mn. 45 sec. à 1mn. 20 sec. :
– Para Ud, qué es un Momio ?
– … Qué ?
– … Un momio, qué es ?

Une fois connue en mars 2012, par le compte-rendu qu’en a fait avec complaisance Isabel Mardones, la toute nouvelle version de Mathias Remmert selon laquelle la voix « reconnaissable entre cent » qui interroge les prisonniers de Chacabuco et Pisagua est bien celle de Miguel Herberg – en effet, outre son timbre, cette voix avec un accent madrilène caractéristique se distingue facilement –, il suffisait de visionner l’ensemble des films et courts-métrages du Studio H&S sur le Chili pour se rendre compte que malgré des efforts pour souvent effacer cette voix, par le doublage en voix-off notamment, elle subsiste indiscutablement dans de nombreuses séquences réparties dans la grande majorité des documents sur le Chili produits  par le Studio H&S.

Ce constat – la preuve irréfutable que Miguel Herberg a beaucoup tourné au Chili en 1973 –, tout le monde pouvait le faire en visionnant les films d’H&S mis en ligne sur Internet et pourra aussi le faire plus rapidement sur les seuls extraits avec la voix de Miguel Herberg que nous réunirons film par film.

Entre Hanns Stein, Pedro Chaskel, Patricio Guzmán, Isabel Mardones, Ignacio Aliaga, Luis Horta et Ricardo Brodsky, on compte deux cinéastes, Chaskel et Guzmán, et trois directeurs de cinémathèques, Mardones, Aliaga et Horta. L’hypothèse de leur totale incompétence en matière cinématographique étant exclue, leur totale mauvaise foi s’avère établie.

Miguel Herberg, casque audio sur la tête et micro à la main. Manifestation de l'Union populaire à la veille des élections du 4 mars 1973. Film Der Krieg der Mumien (La guerra de los momios, 1974).

Miguel Herberg, casque audio sur la tête et micro à la main. Manifestation de l’Union populaire à la veille des élections du 4 mars 1973.
Film Der Krieg der Mumien (La guerra de los momios, 1974).

Outre les traces de la voix de Miguel Herberg dans des séquences de 1973 des films d’H&S, nous présenterons bien d’autres preuves de la mauvaise foi des soutiens entêtés d’Heynowski et Scheumann.

En attendant, il suffira pour toute personne de bonne foi de visionner les films d’H&S qui sont en ligne. On y repérera aisément la voix de Miguel Herberg, la même que celle qui interroge les prisonniers des camps de Chacabuco et Pisagua. Avec un peu d’attention, il arrive même que l’on reconnaisse Miguel Herberg, casque audio sur la tête et le micro à la main, filmé par la caméra de Peter Hellmich (voir l’illustration ci-dessus).

À SUIVRE…

* *

III –  2 :

– Miguel Herberg et le film La Spirale :

– 4 avril 1973 : 4 heures en prison avec le général Viaux

– Sáenz, Bazán & cie et les fantômes d’Heynowski & Scheumann.

Dans le cadre du constat du travail de Miguel Herberg, à titre d’exemple et avant un inventaire complet (film par film et séquence par séquence), nous procèderons à l’analyse minutieuse des conditions de tournage de plusieurs reportages et interviews qui permettront d’illustrer les rôles respectifs de Miguel Herberg et Peter Hellmich dans tous les reportages et interviews tournés par eux en 1973 au Chili.

Nous nous intéresserons d’abord aux interviews conduites par Miguel Herberg et retenues par Armand Mattelart, Jacqueline Meppiel et Valérie Mayoux pour apparaître dans leur film La Spirale : les interviews du Général Roberto Viaux, d’Orlando Sáenz et de Julio Bazán. Tous les commentateurs ont souligné la qualité des documents réunis par les réalisateurs de ce documentaire. La présence de ces interviews dans La Spirale, film réalisé avec l’appui de Chris Marker, est donc déjà en soi le signe de leur intérêt documentaire et historique :

L’agenda de Miguel Herberg à la date du 4 avril 1973. Outre les 4 heures réservées au général Viaux, on notera les mentions Lucia Santacruz (Lucia Santa Cruz), Miranda (Sergio Miranda Carrington) et Danilo ‘Sas’ (Danilo Trelles), trois contacts clefs de Miguel Herberg, deux à droite et un à gauche.

L’interview du général Roberto Viaux par Miguel Herberg (voir photo présentée plus haut) a eu lieu le 4 avril 1973 à la prison de Santiago où ce dernier purgeait une peine de 20 ans de prison pour sa participation au complot qui s’était conclu en octobre 1970 par la mort de René Schneider, général en chef constitutionaliste.

Nous traiterons aussi de deux autres interviews, celle d’Orlando Sáenz, Président de la SOFOFA (Sociedad de Fomento Fabril), un des principaux acteurs civils de la préparation du coup d’État et celle de Julio Bazán, dirigeant de gremio (syndicat corporatiste). Quelques images de Miguel Herberg liées au Partido nacional et à Patria y Libertad – mouvement néo-fasciste créé pour réagir à l’élection d’Allende à la présidence du Chili et très vite placé au cœur des complots qui viseront à son renversement – qui apparaissent dans La Spirale seront aussi évoquées.

On peut déjà lire : L’interview du général Roberto Viaux par Miguel Herberg

À SUIVRE…

* *

III – 3 : Reportages sous le régime militaire (janvier-février 1974) :

– Questions aux pilotesau risque de fâcher le général Gustavo Leigh

– Lios con la plata (1975) : un intermède comique adroitement mené par Miguel Herberg et gâché par Walter Heynowski et Gerhard Scheumann

Nous procéderons de manière équivalente que précédemment pour deux reportages et interviews clefs tournés en février 1974 par Miguel Herberg avec une équipe technique renforcée (Manfred Berger pour le son accompagne cette fois-ci le caméraman Peter Hellmich).

18 février 1974 : général Leigh, commandant Enrique Fernández Cortez, commandant Mario López Tobar, et un des deux pilotes interrogés par Miguel Herberg. Démonstration en vol.
(Planche contact des photos de Miguel Herberg. Les archives Herberg conservent les négatifs originaux.)

Il s’agit d’abord de l’interview le 18 février 1974 du général Gustavo Leigh, général en chef de la FACH (Fuerza Aérea de Chile), un des quatre membres de la junte – alors considéré comme le plus fasciste et féroce.

Le 18 février peu après 11h, à la fin de cette interview, le général Leigh exprime clairement à Miguel Herberg son refus de l’autoriser à interroger les pilotes, dont son fils, qui ont effectué les bombardements du 11 septembre. Le même jour, à 14h30, outrepassant le refus du général Leigh, Miguel Herberg est avec son équipe sur la base aérienne de Los Cerillos. Il interroge au pied de leurs avions Hawkers deux des pilotes du Groupe 7 qui ont participé aux bombardements.

Au nez et à la barbe du général Leigh : base aérienne "Los Cerillos", 18 février 1974. Reportage et entrevues sous la direction de Miguel Herberg. À gauche le chasseur Hawker immatriculé "J -70 3" à l'atterrissage dans l'œil de la caméra de Peter Hellmich. À droite, quasiment au même moment, le même appareil "J -70 3" pris en photo par Miguel Herberg (dernière photo de la planche contact plus haut).

Au nez et à la barbe du général Leigh : base aérienne « Los Cerillos », 18 février 1974. Reportage et entrevues sous la direction de Miguel Herberg.
À gauche le chasseur Hawker immatriculé « J -70 3 » à l’atterrissage dans l’œil de la caméra de Peter Hellmich.
À droite, quasiment au même moment, le même appareil « J -70 3 » pris en photo par Miguel Herberg (dernière photo de la planche contact plus haut).

Miguel Herberg est invité à assister à une démonstration en vol qui semble avoir été spécialement programmée pour être filmée par la caméra de Peter Hellmich. Les images tournées le 18 février 1974  sur la base aérienne de Los Cerillos sous la direction de Miguel Herberg – elles correspondent aux photos d’Herberg de la planche contact ci-dessus – apparaissent à de nombreuses reprises dans le film Mas fuerte que el fuego, sorti en RDA sous le titre Im feuer best anden en septembre 1978 pour le 5e anniversaire du Coup d’État (séquences Los Cerillos à 17′ 50″, 19′ 20″, 20′ 15″, 32′ 09″, 33′ 32″, 38′ 41″, 39′ 03″, 47′ 18″, 57′ 20″, 58′ 47″). Souvent comprises par les spectateurs comme filmées le 11 septembre 1973, ces images seront aussi reprises, alors diffusées par Progress-Film, dans le film « Le dernier combat d’Allende (16′ 44″) » réalisé en 1998 par Patricio Enriquez pour le 25e annniversaire de la mort d’Allende (question : ces séquences ont-elles été vendues par Progress-Film comme tournées le 11 septembre 1973 ?).

À SUIVRE… 

*

19 février 1974 : interview du général Cano. À 2 mn. 50 sec, du court-métrage : le général commente des inscriptions manuscrites sur des billets de banque qu'a réunis et que lui a soumis Miguel Herberg. Général Cano : "par exemple, sur ce billet on traite la junte militaire de 'junte de voleurs'. Vous comprendrez que ce n'est pas la réalité..."

19 février 1974 : interview du général Cano.
À 2 mn. 50 sec, du court-métrage : le général commente des inscriptions manuscrites sur des billets de banque qu’a réunis et que lui a soumis Miguel Herberg.
Général Cano : « par exemple, sur ce billet on traite la junte militaire de ‘junte de voleurs’. Vous comprendrez que ce n’est pas la réalité… »

Le second reportage étudié sera celui sur le général Eduardo Cano, nommé Director del Banco central de Chile le soir du 11 septembre 1973.

Intermède comique adroitement mené par Miguel Herberg, cette interview constitue l’essentiel du court métrage Lios con la plata (version originale, Geldsorgen, sortie en RDA en septembre 1975; version française, Soucis d’argent, diffusée en France en 1976 par UNI/CI/TÉ).

À SUIVRE…

* *

III – 4 : L’imposture, mot à mot

Les traces énonciatives de cette imposture se répartissent en deux classes principales

Première classe des traces énonciatives. Il s’agit des propos tenus par Heynowski et Scheumann eux-même sous trois modes :

a) Leurs propos à travers la voix-off qui court tout le long de leurs documentaires et construisent le socle de  l’imposture – en règle générale, la voix de Gerhard Scheumann dans la version originale allemande. Ainsi, par exemple ce «quand pour la seconde fois, nous nous asseyons face à cet ennemi du peuple» pour une interview de Rolando Sáenz, président de la SOFOFA, après le coup d’État, alors qu’Heynowski et Scheumann n’ont jamais rencontré et interviewé Orlando Sáenz, pas même une première fois…

b) Leurs propos à travers la documentation produite par le Studio H&S pour accompagner et aider à la diffusion du film en RDA, en Europe et dans le reste du monde.

Concernant le film "Yo he sido, yo soy, yo seré", El Mercurio a toujours validé le scénario de la présence d'Heynowski et Scheumann à Chacabuco et Pisagua. Dès 1976 et ci-dessus en 2001. Nous montrerons que la direction du Mercurio était informée que Miguel Herberg était le seul organisateur de ces reportages, et Heynowski et Scheumann absents du Chili à cette occasion.

Concernant le film « Yo he sido, yo soy, yo seré », El Mercurio a toujours validé le scénario de la présence d’Heynowski et Scheumann à Chacabuco et Pisagua. Dès 1976 et ci-dessus en 2001.
Nous montrerons que la direction du Mercurio était informée que Miguel Herberg était le seul organisateur de ces reportages, et Heynowski et Scheumann absents du Chili à cette occasion.

c) Leurs propos à travers les interviews qu’ils ont données à l’occasion de la sortie de leurs films et courts-métrages et tout au long de ces quarante ans d’imposture. Nous avons déjà cité l’interview où devant Robert Grelier les deux imposteurs évoquaient les dangers qu’ils avaient encourus en pénétrant dans les camps de Chacabuco et Pisagua en janvier 1974, alors qu’ils étaient en réalité à l’abri à Berlin-Est et aussi les interviews publiés dans le catalogue « Heynowsky & Scheumann » de la Filmoteca de España. Autre  exemple, bien plus tardif, l’extrait ci-contre d’une interview de Walter Heynowski publiée par journal de droite El Mercurio, quelques heures avant  sa réception par le président chilien Ricardo Lagos au Palais de La Moneda (ici, le texte complet de l’interview dans El Mercurio).

Dans d’autres interventions, leur modestie éclate quand ils affirment « Nous sommes quelque chose comme la conscience du Chili à l’étranger« , quand on les voit se présenter comme les Roman Karmen du Chili. (Karmen est le plus célèbre des cinéastes propagandistes soviétiques – guerre d’Espagne, Stalingrad, Berlin, Dien-Bien-Phu…). et être flattés qu’on les compare à Richard Sorge, considéré comme le plus grand espion du XXe siècle, lorsqu’il était en poste au Japon, à l’aube de la seconde guerre mondiale.

Les imposteurs nous le rappellent régulièrement, sous des modalités différentes : c’est bien nous, Walter Heynowski et Gerhard Scheumann qui sommes là in personam (mode a), … qui étions là in personam (mode b et c)… en 1973, à pénétrer dans l’antre jamais filmée de Patria y Libertad, à interviewer son leader Pablo Rodriguez, ou encore Juan-Luis Ossa, du Partido nacional et chef du Comando Matus ; en 1974 à affronter et berner le général Pinochet et le général Lagos, à piéger avec notre enregistreur Nagra le général Leigh, à tendre notre micro aux pilotes, au pied de leurs avions Hawkers, qui ont bombardé le Palais de La Moneda,  etc.

Deuxième classe des traces énonciatives : Ce sont les traces laissées par tous ceux qui célèbrent les deux héros. Là encore, il faut distinguer :

a) Ceux qui ont été trompés, ils ignorent l’imposture et célèbrent de bonne foi les “exploits” d’Heynowski et Scheumann. On a déjà  évoqué l’accueil de J’étais, je suis, je serai dans la presse française en 1975 (on a déjà cité Le MondeL’Humanité Dimanche et France-Soir)  ou des articles d’universitaires comme Jacqueline Mouesca (1988) et Caroline Moine (2008, voir note 7).

b) D’autres, se doutant ou même parfaitement informés de l’imposture, même s’ils n’en connaissaient pas tous les détails – Hanns Stein, Patricio Guzmán, Pedro Chaskel, Isabel Mardones et d’autres – des journalistes de droite, El Mercurio en tête, comme de gauche – ont participé à nourrir, faire vivre et adapter l’imposture aux impératifs du moment.

À SUIVRE…

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III – 5 : L’inquiétude légitime et la démarche inefficace des documentaristes chiliens

Nous attendrons la réaction de documentaristes et cinéastes chiliens aux premiers articles publiés sur ce blog pour mettre un texte plus complet en ligne qui traitera des initiatives de Miguel Herberg en 2012 et des réactions qu’elle a suscitées parmi eux.

Cette fiche de la Filmothèque nationale d’Espagne sur l’interview filmée du général Viaux accorde à chacun le rôle qui lui revient : interview sous la direction de Miguel Herberg avec Peter Hellmich à la caméra.

Disons d’ores et déjà ceci : en 2012, Miguel Herberg n’a trouvé pour se faire entendre que la voie de la provocation et a annoncé préparer l’autodafé de toutes ses archives au « Cementerio de Arte » de Morille, près de Salamanque. Le caractère purement provocateur de cette initiative est établi : Herberg avait pris le soin de mettre auparavant ses documents originaux à l’abri. Par exemple, les 30 minutes d’interview du général Roberto Viaux filmées à la prison de Santiago le 4 avril 1973 (voir plus haut) avaient été remis à la Filmoteca Nacional de España en 2010…

Les archives d’Herberg, répétons-le, n’ont donc jamais été en péril, on s’en convaincra à travers les articles et documents qui sont mis en ligne sur ce blog. La provocation d’Herberg a naturellement choqué tous ceux, mal informés du fond de l’affaire, qui ont compris cette menace dans son sens littéral plutôt que symbolique (on peut contester, nous en convenons, le choix maladroit d’un autodafé comme symbole…).

Un concert de documentaristes et cinéastes chiliens ont donc adressé une Lettre ouverte à Jorge Edwards –  écrivain, alors ambassadeur du Chili en France et ancien ambassadeur devant l’Unesco – pour qu’il intervienne et se charge de faire interdire un autodafé contre la  « memoria histórica de Chile ».

Jorge Edwards n’aura finalement réussi, après une intervention auprès de Ramón Álvarez Rodríguez, doyen de la Faculté de Philologie de l’Université de Salamanque, qu’à faire interdire un débat organisé et prévu dans cette université. L’interdiction d’un débat dans une enceinte universitaire est un curieux résultat pour un ancien ambassadeur à l’Unesco…

L’intervention « efficace » de Jorge Edwards était particulièrement mal venue puisqu’à côté de Miguel Herberg, des universitaires espagnols qui avaient soigneusement étudié le dossier  devaient faire état de leurs conclusions et présenter des preuves irréfutables de l’imposture, comme nous le faisons ici et allons continuer à le faire de manière encore plus détaillée sur ce blog. Si, plutôt que de le faire interdire, Jorge Edwards avait choisi d’assister à ce débat prévu à la Faculté de philologie de l’Université de Salamanque, il aurait sans aucun doute été rapidement convaincu de l’imposture et qui plus est de ce que les archives de Miguel Herberg étaient bien gardées et ne risquaient donc rien. Jorge Edwards aurait alors communiqué sa conviction aux documentaristes et intellectuels chiliens qui l’avaient interpellé, et les imposteurs et leurs indéfectibles soutiens en auraient été pour leur frais.

Probablement sans le vouloir, Jorge Edwards, ambassadeur nommé par le président chilien de droite Sebastián Piñeras’est ainsi fait le défenseur d’imposteurs de l’ex-RDA. C’est d’autant plus cocasse de la part de celui qui avait publié en 1973 au Chili, avec un courage certain, Persona non grata – où il exposait ses démêlés d’ambassadeur de l’Union populaire avec le pouvoir cubain. Il y dénonçait, en avance sur beaucoup, des traits inquiétants du régime castriste.

L’imposture de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann maintenant établie, on imagine que les mêmes documentaristes et cinéastes chiliens qui sont intervenus auprès de Jorge Edwards rédigeront rapidement une nouvelle lettre ouverte pour exiger que le travail de Miguel Herberg soit reconnu pour ce qu’il est par les cinémathèques chiliennes. Cette lettre pourrait être adressée à Ricardo Brodsky, Ignacio Aliaga, Luis Horta, mais aussi à Patricio Guzmán (rappelons que Patricio Guzmán est le fondateur du FIDOCS – Festival Internacional de Documentales de Santiago de Chile –, passage obligé des documentaristes chiliens pour accéder à la reconnaissance de leur travail).

À SUIVRE…

(Pour être tenu informé de la date de mise en ligne des prochains articles, inscrivez-vous à jndarde@gmail.com).

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NOTES

Note 1, sur le général Lagos :

Général Joaquín Lagos Osorio (janvier 1974). Photo Miguel Herberg

Il est particulièrement malhonnête de présenter aujourd’hui le film “Yo he sido, yo soy, yo seré” sans donner au préalable quelques précisions complémentaires à propos du général Joaquín Lagos qui apparaît à plusieurs reprises dans ce film. De Joaquín Lagos Osorio, l’histoire devrait surtout retenir qu’il paraît établi que c’est son intervention auprès d’Augusto Pinochet, fin octobre 1973 à Antofagasta, qui conduira ce dernier à stopper la « Caravana de la muerte » dont le chef de la junte avait eu l’initiative. Conduite par le général Sergio Arellano Stark, la “Caravane de la mort” s’était, au nom d’Augusto Pinochet; livré à des exécutions sommaires au Sud puis au nord du Chili dans des conditions particulièrement abominables – plus de 120 morts selon le juge Juan Guzmán, avec pour beaucoup des corps mutilés retrouvés longtemps après, ou disparus.
Le général Lagos démissionnera de l’armée en 1974. C’est son témoignage, accompagné d’un document capital qu’il produira devant le juge Juan Guzmán, qui permettra à ce dernier d’inculper le général Pinochet pour sa responsabilité intellectuelle dans les assassinats perpétrés par la Caravane de la mort.
Deux ouvrages ont présenté  l’attitude du général Joaquín Lagos dans ces circonstances.
L’ouvrage de Patricia Verdugo, Los Zarpazos del Puma (1989, ici en version complète) et le livre de Jorge Escalante Hidalgo, «La mision era matar : el juicio a la caravana Pinochet-Arellano» (La mission était de tuer : le jugement de la caravane Pinochet-Arellano ; LOM éditions, colleccion nuevo periodismo, 2000). De larges extraits en sont accessibles sur books.google.cl. .
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Sur youtube, dans un court document, Historia de mi abuelo Joaquin Lagos, on voit Carmen Hertz – avocate sous la dictature de La Vicaria de la Solidaridad et figure incontestée de la défense des droits de l’Homme au Chili rendre hommage au général Joaquín Lagos [pour être complet et honnête, Carmen Hertz, membre du parti communiste chilien, croit contre toute évidence à l’héroisme d’Heynowski et Scheumann, communistes de l’ex-RDA, et a dénoncé « las supercherías y delirios » (les supercheries et délires) de Miguel Herberg].

– Note 2, sur Danilo Trelles :

Fondateur en 1943 à Montevideo de Cine Arte (cf article de Mariana Amieva), Danilo Trelles jouera un rôle important dans la création de la Cinemateca uruguaya. Il est l’auteur de documentaires expérimentaux (Pupila al viento dont il est co-auteur en 1949 a été primé). Il a aussi été responsable de la critique cinématographique dans la réputée revue uruguayenne Marcha. Danilo Trelles a organisé en 1958 à Montevideo le premier congrès des cinéastes indépendants d’Amérique latine. Il a aussi été le co-producteur de Vidas secas (1963), un des films emblématiques du Cinema novo brésilien. Il est à Santiago – directeur de l’antenne de la Compagnie scandinave d’aviation SAS – pendant toute la durée de l’Union Populaire. Il y tournera des courts-métrages sur Salvador Allende (« El camino de Allende ») ou Neruda (court-métrage présenté à Cannes en 1975). En contact avec le Président chilien, Danilo Trelles, comme nous l’a confirmé Renzo Rossellini, facilitera ainsi le séjour de Roberto Rossellini au Chili en 1971 et la rencontre de ce dernier avec Salvador Allende conclue par une longue interwiew filmée ( ici, sa version doublée en italien).

Danilo Trelles (à droite de la photo) et Gregorio Selser chez Miguel Herberg, à Rome.
Tous trois très engagés dans la campagne de solidarité avec le Chili, ils préparent une intervention à une session du Tribunal Russell II pour l’Amérique latine qui s’est tenue à Rome.
Photo Miguel Herberg (Archives Herberg)

Danilo Trelles a aussi été le Secrétaire exécutif du Comité Internacional de Solidaridad Artística con Chile, comité chargé de réunir les donations en faveur d’un Museo de la solidaridad. Ce Musée, inauguré dans son état provisoire en juin 1972 par Salvador Allende  est aujourd’hui le MSSA, Museo de la Solidaridad Salvador Allende. Le coup d’État surprend Trelles alors qu’il est à Alger, accompagné de Miguel Herberg. Son appartement est perquisitionné et toutes ses archives accumulées au Chili ont disparu. Après 1973, Danilo Trelles vivra d’abord à Rome. Sur la photo ci-contre, il apparaît avec Gregorio Selser (Argentin, auteurs de nombreux ouvrages sur l’Amérique latine) chez Miguel Herberg, dans la capitale italienne. Il vivra ensuite à Madrid et, jusqu’à sa mort en janvier 2000, collaborera régulièrement avec la presse hispanophone, espagnole comme latino-américaine.

Ajout en  2016 : La Biblioteca digital de autores uruguayos, une initiative développée par l’ « Universidad de la República », principal pôle universitaire en Uruguay, a mis en ligne un matériel important consacré à des dizaines d’auteurs uruguayens, dont Danilo Trelles. On y trouvera notamment : une carte manuscrite de Salvador Allende, le texte d’un accord signé par Roberto Rossellini… et jusqu’à un acte de perquisition (le saccage et la destruction de ses archives n’est pas acté) de son appartement de Santiago de Chile par la FACH (Fuerza Aérea de Chile) le 17 septembre 1973.

Note 3 :

Ce faire-part publié dans Neues Deutchland – le journal officiel du Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED, Parti socialiste unifié d’Allemagne au pouvoir en RDA) aujourd’hui, organe semi-officiel du mouvement Die Linke – était signé par « Carmen Bärwaldt, Petra Dimitrov, Horst Donth, Renate Heckmann, Peter Hellmich, Walter Heynowski, Ingeborg Kaluza, Walter Martsch, Robert Michel, Wolfgang v. Polentz, Ilse Radtke, Mathias Remmert, Hans-Joachim Schauß, Eberhard Schwarz, Jochen Stoff, Peter Voigt, Traute Wischnewski sowie Heinz Adameck und Horst Pehnert ».

Novembre 1974 : accueil à Paris de Wolfgang von Polentz, rédacteur de « Ich was, ich bin, ich werde sein » par UNI/CI/TÉ, chargée de la version française « J’étais, je suis, je serai » et de sa diffusion. (Archives UNI/CI/TÉ, siège du Parti communiste français).

L’imposture de Gerhard Scheumann est connue de la plupart des signataires de ce faire-part; elle a en effet été un travail d’équipe. Donth, Hellmich, Heynowski, Remmert, mais aussi Michel et Polentz, y ont directement contribué à différents degrés, de bonne ou de mauvaise grâce. Wolfgang von Polentz a fait le voyage à Paris pour superviser la version française de « J’étais, je suis, je serai » diffusée par UNI/CI/TÉ (voir illustration ci-contre). Il a aussi contrôlé les adaptations des autres films du Studio Heynowski & Scheumann sur le Chili, toujours confiées à UNI/CI/TÉ.

Note 4 :

Documentariste aux talents reconnus, Patricio Guzmán a  “tourné” lui-même l’essentiel des reportages qu’il a montés pour réaliser les quatre parties de “La Batalla de Chili” et “Salvador Allende”. Nous entendons ici « tourné » dans son  usage  commun du monde du cinéma et plus particulièrement celui des documentaristes. Au sens littéral, c’est la bobine de la caméra qui tourne, le caméraman qui fait tourner la bobine de la caméra… sous la direction de l’auteur de la séquence, ici Patricio Guzmán.  Il est d’usage de dire que l’auteur de la séquence a “tourné” la séquence que son caméraman a filmée – Jorge Müller et accessoirement Antonio Ríos pour Patricio Guzmán. Patricio Guzmán a aussi utilisé dans La Batalla de Chile et Salvador Allende des extraits de reportages et interviews tournés sous la direction de Miguel Herberg. Ce dernier devait encore plus diriger son caméraman – Peter Hellmich qui ne comprenait rien à l’espagnol – que n’avait à le faire Patricio Guzmán avec le talentueux Jorge Müller (ce dernier, compagnon d’une militante du MIR, sera arrêté avec elle; ils ont disparu en décembre 1974).

Note 5 :

“Sans en négliger aucune” : c’est-à-dire que nous traiterons du projet de documentaire de Miguel Herberg  – retourner au Chili 36 ans après, en 2010, à la recherche des prisonniers qu’il avait rencontrés en 1974 –, de son échec à trouver des partenaires chiliens, de sa décision de mettre en scène une menace d’autodafé à Morille, près de Salamanque. Nous évoquerons aussi des déclarations de Miguel Herberg, à nos yeux particulièrement injustes et malvenues, concernant en autres le Cardinal Raúl Silva Henríquez ou le juge espagnol Baltasar Garzón… Nous préciserons les contextes précis de ces déclarations et à la suite de quels malentendus elles ont été  énoncées. Ce point est nécessaire tant ces déclarations de Miguel Herberg ont été utilisées avec beaucoup de mauvaise foi et un certain succès par les soutiens chiliens de l’imposture et des imposteurs pour nier l’exceptionnel et périlleux travail réalisé par Miguel Herberg Hartung au Chili en 1973 et 1974.

Note 6

Il faudra près de 35 ans à Guillermo Ravest, pourtant lui-même membre du Parti communiste chilien, pour que sa version des faits, la bonne, soit prise en compte.

Directeur de Radio Magallanes, radio officielle du parti communiste chilien, Guillermo Ravest Santis a avec son équipe montré beaucoup de sang-froid le matin du 11 septembre 1973.

Guillermo Ravest a raconté comment Radio Magallanes, avant d’être bombardée à son tour, a pu transmettre le dernier message de Salvador Allende. Des années plus tard, en 1989, un autre journaliste, Hernán Barahona, membre du P C Chilien, s’attribuera dans El Siglo, organe du parti, le rôle tenu en réalité par Guillermo Ravest. La direction d’El Siglo ne voudra jamais reconnaître l’imposture. Pour plus de détails sur cette petite imposture et les difficultés pour Guillermo Ravest de faire reconnaître la vérité, on lira :

 – l’interview de Guillermo Ravest parue en 2008;

l’article bien informé et l’analyse d’Ernesto Carmona;

 la non-décision du Comité d’éthique du Colegio de periodistas de Chile.

Interview de G. Ravest par Alejandra Rodríguez Matamoros.

Note 7 :

Caroline Moine (Université de Saint-Quentin en Yvelines), historienne spécialiste du Cinéma et de la RDA, a été à notre connaissance – pour s’en tenir à la France; il ne faut pas oublier les travaux en Allemagne de Ruediger Steinmetz et Tilo Prase (Université de Leipzig) –, la première chercheuse, à parler aussi crûment de « travail de propagande » ou encore « d’œuvres de propagandes bien orchestrées » pour qualifier les films réalisés par Heynowski et Scheumann sur le Chili (Colloque « Lorsque Clio s’empare du documentaire : archives, témoignage, mémoire » organisé à Bordeaux en novembre 2008; actes du colloque publiés aux éditions l’Harmattan). Dans sa communication – Filmer pour témoigner : documentaires et « solidarité internationale contre le régime de Pinochet » –, Caroline Moine croit encore aux récits des exploits d’Heynowski et Scheumann. Nous sommes en 2008, avant les initiatives de Miguel Herberg en 2009 et 2010 et ses provocations en 2012. Heynowski, Stein, Remmert et Mardones n’ont pas encore été obligés à trouver une parade et à valider une nouvelle version de la légende héroïque des cinéastes de la RDA — la nouvelle version, toujours en cours, où les exploits retombent sur les seules épaules de Peter Hellmich, dirigé de loin par Heynowski et Scheumann. Caroline Moine à qui nous avons communiqué certains de ces textes avant leurs mises en ligne est aujourd’hui convaincue de l’imposture; elle poursuit des recherches en Allemagne dont la production du studio Heynowski & Scheumann est un des thèmes.

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Textes de Jean-Noël Darde ( jndarde@gmail.com )