Camps de Chacabuco et de Pisagua : les photos couleur de Miguel Herberg

Article mis en ligne en mars 2014. Dernière modification, le 12 juin 2014

Chacabuco, les photos couleur de Miguel Herberg

Pisagua, les photos couteur de Miguel Herberg

Avant-propos

120 photos couleur de Miguel Herberg prises en janvier 1974 dans les camps de Chacabuco sont mises en ligne ici pour la première fois. Documents exceptionnels, ces diapositives sont en outre autant de preuves irréfutables de l’imposture de Walter Heynowski et Gerhard Scheumann.

Une preuve irréfutable de l'imposture : en bas, en noir et blanc, les photos attribuées par l'agence de presse officielle de la RDA (Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst – ADN) à Walter Heynowski et Gerhard Scheumann. En haut, les diapositives originales couleur, photos prises par le seul Miguel Herberg les 28 et 30 janvier 1974. Contrairement à ce précise la légende "RDA", les deux photos de gauche ont été prises à Pisagua, et celle de droite à Chacabuco.

Une preuve irréfutable de l’imposture :
en bas, en noir et blanc, les photos attribuées par l’agence de presse officielle de la RDA (Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst – ADN) à Walter Heynowski et Gerhard Scheumann.
En haut, les diapositives originales couleur, photos prises par le seul Miguel Herberg les 28 et 30 janvier 1974.
Contrairement à ce précise la légende « RDA », les deux photos de gauche ont été prises à Pisagua, et celle de droite à Chacabuco.

Les trois photos noir et blanc ci-dessus illustrent une interview de Guillermo Torres Gaona, (alors président du Colegio de periodistas de Chile) publié dans l’ouvrage « Morir es la noticia » (ouvrage accessible en ligne, ici). Cet ouvrage, édité par Ernesto Carmona et paru en 1998, réunissait les contributions d’une cinquantaine de journalistes chiliens sur leurs collègues assassinés sous la dictature militaire.

Le chapitre de Guillermo Torres est intitulé « La dictadura mató a periodistas, pero no al periodismo«  [la dictature a tué des journalistes mais pas le journalisme]. Guillermo Torres, y évoque le reportage de Miguel Herberg dans le camp de Chacabuco qu’il qualifie de « noticia de mayor repercusión« . Mais dans ce document publié en 1998, Guillermo Torres attribue encore ce reportage aux seuls Walter Heynowski et Gerhard Scheumann. Dans cet ouvrage, à propos des photos ci-dessus, il est précisé dans une légende  : Fotos de los cineastas alemanes Haynwsky y Sheumann, ADN.

À droite, la diapositive originale de Miguel Herberg prise au camp de prisonnier de Pisagua. À gauche, cette même photo en couverture de l’ouvrage de Rolando Carrasco Moya édité en 1977 à Moscou.
Là encore, il y a confusion entre Pisagua et Chacabuco, puisque Rolando Carasco était prisonnier à Chacabuco et n’a jamais connu le régime plus sévère de Pisagua.

Rolando Carrasco Moya, décédé en 2014, était en 1973 responsable de la Radio Luis Emilio Recabaren, propriété de la Central Unica de los trabajadores et proche du Parti communiste chilien. Détenu dès 11 septembre, il restera un an au camp de Chacabuco avant d’être transféré dans d’autres camps de la région de Santiago. Libéré et exilé en 1976, il sera collaborateur d’El Siglo, organe du PCC à Prague et à Moscou. La couverture de son ouvrage, Prigué, prisonnier de guerre au Chili, est aussi illustrée par une photo de Miguel Herberg prise à Pisagua. Nous n’avons pas eu cet ouvrage en main; mais nous doutons que cette photo soit créditée dans cet ouvrage à Miguel Herberg.

* *

En plus de conduire les reportages et les interviews filmés en 1973 et 1974 au Chili, Miguel Herberg Hartung disposait en effet d’un appareil photographique Nikon F qu’il a parfois utilisé lors de ces tournages. Les photos couleurs étaient prises avec des pellicules Ektachrome de 120 ou 200 asa.

À gauche, le 28 janvier 1974 au camp de Chacabuco, le capitaine Alejandro Ávila Arentsen (LIRE NOTE 1). À droite, le 30 janvier au camp de Pisagua (lieutenant Perez ??). Photos : Miguel Herberg.

À gauche, le 28 janvier 1974 au camp de Chacabuco, le capitaine Alejandro Ávila Arentsen (LIRE NOTE 1).
À droite, le 30 janvier au camp de Pisagua (lieutenant Perez ??).
Photos : Miguel Herberg.

Nous reviendrons ultérieurement en détail et documents à l’appui sur les épisodes qui ont précédé le reportage de Miguel Herberg et de son équipe dans les camps de Chacabuco et de Pisagua en février 1974.

Les responsables des deux camps ont été avertis la veille de la visite d’une équipe de reportage de l’Allemagne de l’Ouest. Chacun, dans un style bien différent, tentera de montrer ce qui lui paraît être, si on ose dire, le mieux du camp qu’il dirige. Messe, comité de rédaction du journal du camp et visites d’ateliers sont au programme de Chacabuco. Défilé martial, séance virile de gymnastique et hymne national chanté à tue-tête sont au menu de la visite organisée par le commandant du camp de Pisagua.

On se doute que l’appareil de photo d’Herberg et la caméra d’Hellmich ne seront jamais en situation de capter un épisode criminel lors de ces visites organisées et très encadrées. Si la détention au camp de Chacabuco n’a rien eu d’une partie de plaisir – les brutalités y étaient courantes et l’angoisse du lendemain installée, comme le précisera Danilo Bertulin, ancien médecin de Salvador Allende, à Herberg –, le camp de Pisagua, sous la direction du lieutenant-colonel Ramón Larraín Larraín a connu la torture érigée en système et près d’une trentaine d’exécutions.

Le 29 septembre 1973 une corvée de bois ordonnée par Larraín Larraín se conclura par la disparition de six prisonniers dont les corps ne seront retrouvés que dans les années 1990. En octobre 1973, Pisagua connait d’autres exécutions dans le sillage de la Caravana de la muerte commandée par le général Arellano Stark et organisée sous l’autorité directe du général  Pinochet.

Entre le 15 et le 20 janvier, avant l’arrivée de Miguel Herberg, Peter Hellmich et Manfred Berger, on compte les exécutions sommaires de six détenus récemment transférés à Pisagua depuis Iquique, la mort sous la torture d’un prisonnier et une autre exécution. À la mi-février, deux semaines après la visite des journalistes, Pisagua connaîtra deux nouvelles exécutions, celles-ci décidées au terme d’un conseil de guerre agissant sur ordre. Ce seront les dernières exécutions au camp de Pisagua. Il est vraisemblable que cet arrêt des exécutions à Pisagua a été un des effets des publications en mars 1974 des premières photos et articles de Miguel Herberg sur les camps chiliens dans la presse internationale.

Le sauf-conduit accordé par Pinochet à Herberg et son équipe, comportait la mention « sin visitas de detenidos » (sans visite de détenus), on évalue maintenant encore mieux les risques pris par Miguel Herberg et les deux compagnons qu’il a entraînés dans cette aventure.

*

Chacabuco et Pisagua dans la presse

De tous les tournages qu’il a dirigés au Chili en 1973 et 1974, c’est dans les camps de Chacabuco et Pisagua, qu’Herberg a pris le plus grand nombre de photos. Il s’agissait alors d’être en mesure d’identifier plus tard un maximum de prisonniers. Peter Hellmich avec la caméra et Miguel Herberg avec son Nikon se complétaient dans cette tâche.

Les unes de l'Unità, organe du PCI, du 21 mars 1974, 7 mai 1974 et 1er août 1974. Chaque fois, la légende précise que la photo a été prise au camp de prisonniers de Pisagua.

Les unes de l’Unità, organe du PCI, du 21 mars 1974, 7 mai 1974 et 1er août 1974.
Chaque fois, la légende précise que la photo a été prise au camp de prisonniers de Pisagua.

Ces photos ont largement été diffusées dans la presse au retour du Chili d’Herberg. Cette diffusion était assurée depuis Paris par Gamma, alors la première agence de photographie au monde, et depuis Rome où il habitait, par Herberg lui-même. Une fois passées les premières semaines après le coup d’État, les photos significatives sur la répression sont devenues rares et celles de Miguel Herberg de janvier 1974 ont d’autant plus été mises en avant.

L'Unità du 24 mars 1974 et du 30 juillet 1975. Photo du camp de Chacabuco prise par Miguel Herberg depuis l'hélicoptère mis à sa disposition par le général Lagos.

L’Unità du 24 mars 1974 et du 30 juillet 1975. Photo du camp de Chacabuco prise par Miguel Herberg depuis l’hélicoptère mis à sa disposition par le général Lagos.

À titre d’exemple, nous avons épluché L’Unità, l’organe officiel du Parti communiste italien, dont les archives sont librement accessibles sur Internet (note 2). En mars 1974, des photos d’Herberg prises à Pisagua ont été publiées les 14, 19, 21 de ce mois. La photo du 21 mars (illustration plus haut, un soldat de dos au premier plan et les prisonniers en arrière plan) est à la une du quotidien du PCI pour illustrer l’ouverture d’une conférence de solidarité avec le Chili réunie à Helsinski. La même photo reviendra à deux autres reprises en une de l’Unità, le 5 mai et le 1er août de la même année 1974. Les légendes précisent à chaque fois qu’il s’agit d’une photo du camp de Pisagua. Le 24 mars, c’est une photo de Chacabuco vue d’hélicoptère, toujours une photo d’Herberg, qui est en une; elle est  à nouveau publiée dans l’Unità en juillet 1975 (voir ci-dessus). Ces quelques dates n’épuisent pas celles des publications dans l’Unità des photos d’Herberg prises à Pisagua et Chacabuco.

Le Neues Deutschland du 30 avril 1974 fait un compte-rendu et cite l'article publié sur les camps au Chili dans le Giorni Vie Nuove daté du 1er mai.

Le Neues Deutschland du 30 avril 1974 fait un compte-rendu et cite l’article publié sur les camps au Chili dans le Giorni Vie Nuove daté du 1er mai.

En Italie encore,  Giorni Vie nuove, hebdomadaire dans l’orbite du PCI, a consacré dans  son numéro du premier mai 1974 pas moins de six pages au texte et aux photos de Miguel Herberg (voir ci-dessous). Le reportage est signé, comme Herberg en avait l’habitude, de son seul prénom « Miguel« .

Ce long reportage publié dans le Giorni Vie Nuove, daté du premier mai bien que sorti quelques jours auparavant, fait l’objet de quelques lignes dans le Neues Deutchland (organe du parti au pouvoir en RDA) le 30 avril 1974. Le journal allemand cite un « Augenzeugen [témoin oculaire] », sans que le nom de « Miguel » apparaisse.

Bien d’autres articles de presse attestent que Miguel Herberg, grâce à ses photos, a fait abondamment parlé dans le monde des camps de Chacabuco et Pisagua au début du printemps 1974 bien avant la sortie, en septembre, du film réalisé par le studio H&S, Ich war, ich bin, ich werde sein.

Aux publications des photos et du témoignage de Miguel Herberg a succédé quelques semaines plus tard l’annonce sur Radio-Moscou que des journalistes de l’Allemagne de l’Est  – Herberg, espagnol, a déjà disparu, il ne manquera plus à la prochaine étape qu’à nommer Heynowski et Scheumann – avaient roulé Pinochet et réussi malgré ses ordres explicites à filmer les camps et les prisonniers de Chacabuco et Pisagua.

Ces deux camps, et celui de Dawnson où étaient détenus les anciens dirigeants et ministres de l’Union Populaire, polarisaient selon la junte une « campaña mundial antichilena« . Cela va convaincre Pinochet de les fermer rapidement. Quand le film Ich was, ich bin, ich werde sein sort en septembre 1974 en RDA et onze autres pays, majoritairement socialistes, la décision de fermer les deux camps a déjà été prise par le pouvoir militaire. Quand le film sort en France, en Italie et dans de nombreux autres pays en septembre 1975 pour le deuxième anniversaire du coup d’État, les deux camps sont fermés depuis dix mois.

Depuis la fin du mois de septembre 1973, la junte avait fait publiquement état de l’existence des « camps de prisonniers » de Chacabuco et Pisagua. Les Bandos – communiqués officiels des instances militaires publiés par la presse locale et nationale  faisaient scrupuleusement état d’exécutions à Pisagua à la suite de condamnations édictées par les conseils de guerre « réguliers (sic) » et de morts au titre de la « ley de fuga » (exécutions sommaires habillées en tentatives de fuite). Les crimes, tortures et disparitions, mis en œuvre par les militaires chiliens auront dorénavant lieu à des adresses qu’ils tenteront de tenir secrètes – notamment calle Maruri 650 pour la SIFA (Servicio de Inteligencia de la Fuerza Aérea, sous la coupe du général Leigh), pour la DINA (Direccion de Inteligencia Nacional, sous la coupe du général Pinochet à travers le colonel, puis général Contreras), calle Londres 38, Villa Grimaldi, calle Irán 3037…

Les archives de Miguel Herberg gardent surtout les traces des publications des photos de Chacabuco et Pisagua diffusées par lui-même depuis Rome. On en trouvera quelques exemples dans les galeries ci-dessous. Pour commencer, les pages de Giorni Vie Nueve

   
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Le 21 avril 1974, Noi Donne, le journal de l’Unione Donne in Italia, le mouvement des femmes lié au Parti communiste italien publie un article et les photos de Miguel Herberg du camp de Pisagua. En introduction, la journaliste évoque le récent témoignage de Miguel Herberg devant le Tribunal Russel 2. Cette session du Tribunal Russel, consacrée à la répression en Amérique latine avait eu lieu à Rome. 

   
Noi Donne – 3
Noi Donne – 4
Noi Donne, 21 avril 1974 – 1
Noi Donne – 2
Noi Donne – 3
Noi Donne – 4
Noi Donne, 21 avril 1974 – 1
Noi Donne – 2
Noi Donne – 3
Noi Donne – 4
Noi Donne, 21 avril 1974 – 1
Noi Donne – 2
Noi Donne – 3
Noi Donne – 4
Noi Donne, 21 avril 1974 – 1
Noi Donne – 2

Nous avons choisi à dessein de présenter d’abord des publications des photos de Miguel Herberg dans le quotidien et deux magazines liés au Parti communiste italien,  publications qui attestent de la proximité ces années là d’Herberg avec le PCI. Mais la diffusion des photos d’Herberg sur Chacabuco et Pisagua ne se limite pas à la presse militante comme en attestent les deux galeries suivantes : un reportage de huit pages, le 21 mars 1974, dans l’Europeo, à l’époque le grand hebdomadaire italien, et des publications en japonais et en arabe. 

   
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 3
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 4
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 1
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 2
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 3
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 4
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 1
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 2
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 3
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 4
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 1
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 2
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 3
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 4
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 1
L'Europeo, "I prigionieri dei golpisti" – 2

Les photos de Miguel Herberg des camps de Chacabuco et Pisagua ont fait le tour du monde :

   
Chacabuco et Pisagua en japonais – 4
Chacabuco et Pisagua en arabe
Chacabuco et Pisagua en japonais – 1
Chacabuco et Pisagua en japonais – 2
Chacabuco et Pisagua en japonais – 3
Chacabuco et Pisagua en japonais – 4
Chacabuco et Pisagua en arabe
Chacabuco et Pisagua en japonais – 1
Chacabuco et Pisagua en japonais – 2
Chacabuco et Pisagua en japonais – 3
Chacabuco et Pisagua en japonais – 4
Chacabuco et Pisagua en arabe
Chacabuco et Pisagua en japonais – 1
Chacabuco et Pisagua en japonais – 2
Chacabuco et Pisagua en japonais – 3
Chacabuco et Pisagua en japonais – 4
Chacabuco et Pisagua en arabe

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Septembre 2013 : Freddy Alonso Oyanadel (à gauche de la photo), Jorge Soria, maire d'Iquique (à droite), anciens prisonniers à Pisagua, inaugurent une exposition où les photos de Miguel Herberg apportent un complément précieux à la documentation réunie par Freddy Alonso.

Septembre 2013 : Freddy Alonso Oyanadel (à gauche de la photo), Jorge Soria, maire d’Iquique (à droite), anciens prisonniers à Pisagua, inaugurent une exposition où les photos de Miguel Herberg apportent un complément précieux à la documentation réunie par Freddy Alonso.

Avant la mise en ligne sur ce blog de l’ensemble des photos de Miguel Herberg de Chacabuco et Pisagua, soulignons qu’une part des photos de Pisagua a été récemment exposée à l’occasion du quarantième anniversaire du coup d’État à la Casa de la cultura de la ville d’Iquique – la ville la plus proche de l’ancien camp de Pisagua – dont le maire actuel, Jorge Soria, est un des anciens prisonniers. À cette exposition organisée à l’initiative de Freddy Alonso Oyanadel, lui aussi ancien prisonnier, les photos d’Herberg complétaient une abondante documentation réunie par Alonso sur l’histoire et les épisodes tragiques de ce camp sous la junte militaire.

Dans ces deux reportages de la TV d’Iquique (http://www.youtube.com/watch?v=CIXd3X7sxwo et http://www.youtube.com/watch?v=ZJSAuCsCBes), on peut observer en arrière plan des personnes interviewées et filmées certaines des photos en couleur mises à la disposition de Freddy Alonso par Miguel Herberg pour cette exposition : les photos des prisonniers faisant des exercices destinés à prouver leur bonne santé devant la caméra, les bâtiments, le lieutenant-colonel Ramón Larraín Larraín, commandant du camp et responsable de tortures et d’assassinats, etc… un ensemble unique de photos du camp en 1974.

Le récit que nous a fait Freddy Alonso Oyanadel de sa première rencontre avec Miguel Herberg le 30 janvier 1974 permet de mieux interpréter les photos d’Herberg et les images filmées sous sa direction et utilisées par le Studio H&S; c’est aussi un témoignage, par-delà la mise en scène de la visite, des conditions de captivité dans le camp de Pisagua. Nous en avons fait ci-dessous un résumé :

La veille du 30 janvier, alors que nous ne savions rien de ce qui allait se passer le lendemain, il n’y a eu ni interrogatoires ni tortures et tous les prisonniers ont été mis à contribution pour un grand nettoyage de la prison de Pisagua.

Le 30 au matin, le commandant du Campo de Prisioneros de Guerra de Pisagua, le lientenant-colonel Ramón Larraín Larraín, nous a informé d’une visite importante, celle de journalistes d’Allemagne occidentale.

Après cette annonce nous avons été répartis par groupe pour jouer des rôles spécifiques : quelques prisonniers ont été installés torses nus dans le secteur de l’infirmerie et la parodie de leur auscultation organisée. Les plus jeunes ont été réunis sur le terrain devant la prison pour faire des exercices dirigés par des militaires, les un peu moins jeunes défilaient au pas cadencé en chantant et les plus âgés étaient répartis dans différents ateliers – jardinage, mécanique, menuiserie.

Moi-même, j’étais dans une cellule, la cellule 2-1, avec d’autres prisonniers, nous devions être cinq ou six. L’Allemand, le roux, celui qui parlait espagnol, à qui s’adressait le commandant du camp et qui posait des questions aux prisonniers, a été autorisé par ce dernier a entrer dans notre cellule, mais sans son appareil photo et sans les deux autres allemands, donc sans caméra et enregistreur.

Profitant d’une baisse de la surveillance, nous lui avons glissé des informations sur la mise en scène de cette visite et sur les « catacumbas » du premier étage où avaient lieu les interrogatoires sous la torture. Mais les militaires, sans avoir pu entendre le détail de ce nous avions dit, se sont rendus compte que nous avions trop parlé à ce journaliste. Une fois les trois journalistes repartis, la nuit suivante jusqu’au lendemain matin nous avons été interrogés avec brutalité – plusieurs de mes compagnons se sont évanouis – pour nous faire dire ce que nous avions raconté au journaliste allemand. Mais nous n’avons rien reconnu d’important.

Quelques mois plus tard, sorti de Pisagua mais encore relégué, j’écoutais Radio Habana à 22h, Radio Moscou à 23h et Radio Holanda à 24h. C’est sur Radio Moscou que j’ai entendu que Pinochet s’était fait roulé par des Allemands de l’Est qui s’étaient faits passer pour des Allemands de l’Ouest pour entrer  à Chacabuco et Pisagua. J’ai très longtemps cru à ce scénario avec des Allemands de l’Est

Dans les années 90, ont commencé à circuler des images du film des allemands sur Chacabuco et Pisagua. Mais c’est encore bien des années après que sur Internet j’ai vu une photo du journaliste à la barbe et aux cheveux roux, celle de Miguel Herberg, que j’ai facilement identifié comme l’interlocuteur des prisonniers et des militaires à Pisagua. Je n’avais par contre jamais vu Heynowski et Scheumann, les Allemands de l’Est qui prétendaient alors y avoir été.

Depuis 1986, Freddy Alonso a participé à différentes associations d’anciens prisonniers politiques chiliens et associations pour la défense des Droits de l’Homme. Il en a présidé certaines à plusieurs périodes. Freddy Alonso a publié en 2004 un ouvrage,  « La Verdad de Pisagua » (Édicion Cero) dans lequel l’épisode de la visite des journalistes – qu’il croit encore à cette époque de l’Allemagne de l’Est – est évoquée. Quand il a eu connaissance en mars 2012 de la violente polémique qui a opposé Miguel Herberg et les soutiens de Walter Heynowski et Gehrard Scheumann, il a été parmi les chiliens qui ont fait publiquement connaître leur soutien au premier.

Dans un des mails qu’il nous a adressés, Freddy Alonso écrivait qu’indépendamment des problèmes de droit – sur lesquels il ne pouvait s’exprimer, ne connaissant rien des relations entre Miguel Herberg et le studio H&S et en plus sans compétences particulières en matière de droit intellectuel – il tenait à souligner que « ceux qui ont fait le travail comme Herberg méritent le respect, parce que les risques qu’ils ont pris dans un pays soumis à une dictature étaient considérables« .

Patricio Guzman n’a pas trouvé mieux pour s’informer sur cette affaire que d’aller chercher la vérité en 1997 auprès de Gerhard Scheumann, celui du couple H&S qui est réputé avoir été un membre actif de la STASI. Isabel Mardones va chercher le vrai auprès de Mathias Remmert, producteur des films d’H&S et premier complice des imposteurs…

Ni Patricio Guzman et ni Pedro Chaskel avant 2000, ni Isabel Mardones et ni Ricardo Brodsky plus tard n’ont jamais eu l’idée d’aller demander leurs témoignages aux prisonniers de Chacabuco et Pisagua, au moins à ceux que l’on voit dans le film Yo he sido, yo soy, yo seré. Les témoins du travail de Miguel Herberg figurent aussi sur les photos ci-dessous qu’il a prise à Chacabuco et Pisagua :

CHACABUCO, LES PHOTOS COULEUR DE MIGUEL HERBERG

et

PISAGUA, LES PHOTOS COULEUR DE MIGUEL HERBERG

Pour les photos de Chacabuco, nous comptons avec l’aide de Guillermo Orrego Valdebenito, qui y a été prisonnier, pour établir les légendes et identifier les prisonniers. Pour le camp de Pisagua, nous aurons l’aide de Freddy Alonso Oyanadel, et de tous les anciens prisonniers de Chacabuco et Pisagua qui souhaiterons s’associer à ce travail.

Ces photos couleur (pellicules Ecktacrhome) sont présentées dans les deux articles ci-dessus dans des versions numérisée en basse définition. Ces documents ont subi l’usure du temps, un nettoyage sommaire et quelques corrections couleur ont été effectués pour rendre les visages plus facilement reconnaissables. Miguel Herberg souhaiterait que ces photos puissent être soigneusement restaurées et numérisées en haute définition. Elles pourraient alors être mises à la disposition des associations des anciens prisonniers de Chacabuco et Pisagua et tout particulièrement à celle des prisonniers qui y figurent ou à leur famille.

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NOTES

Note 1 : 40 ans après, Alejandro Ávila Arentsen, dont nous ne savons à quel grade il a terminé sa carrière militaire, restait un inconditionnel du 11 septembre 1973. Sur Internet, on le retrouve le 20 juin 2013 signataire d’une pétition pour ne pas débaptiser l’avenue « 11 de septiembre » à Santiago.

Note 2 : Remarquons que nos recherches ont été grandement facilitées par la possibilité d’accéder sur Internet aux archives complètes des journaux L’Unità et Neues Deutschland – en libre d’accès pour L’Unità et à un prix raisonnable pour Neues Deutchschland. Ce souci de transparence de ceux dont dépendent aujourd’hui l’ancien journal du Parti communiste italien et l’ancien journal du Parti socialiste unifié d’Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, SED, en RDA) est à souligner.

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