Gehrard Scheumann jusqu’à sa mort en 1998 et Walter Heynowski pendant près de 40 ans, ont affirmé avoir personnellement tourné les reportages et les interviews au sein de la droite et l’ultra-droite chilienne en 1973, les interwiews du général Pinochet et du général Leigh et le reportage dans les camps de prisonniers de Chacabuco et Pisagua en janvier 1974. Tournages qu’ils présentaient réalisés avec le caméraman Peter Hellmich. Cet ensemble de reportages et interviews ont nourri une part essentielle des dix films et courts-métrages sur le Chili du Studio H& S, réalisés entre 1974 et 1983.
Entre 2011 et 2013, Mathias Remmert, producteur au studio H&S, et Walter Heynowski lui-même ont changé le scénario et crédité la direction de ces interviews et reportages au seul Peter Hellmich.
Les soutiens chiliens d’Heynowski et Scheumann ont défendu avec le même acharnement les deux scénarios successifs – avec Heynowski et Scheumann dans les premiers rôles jusqu’en 2012, et sans eux depuis lors –, ceci, sans y voir le moindre problème, la moindre contradiction.
Que dit Peter Hellmich ? Peter Hellmich ne dit rien, il se tait. Il refuse d’évoquer devant des journalistes ou des chercheurs universitaires les conditions de tournage des reportages au cœur de l’extrême-droite chilienne en 1973 et dans les camps de la junte en 1974. On ignore d’ailleurs comment contacter Peter Hellmich.
Le silence de Peter Hellmich, qui a permis à Walter Heynowski et Gehrard Scheumann de s’attribuer pendant 40 ans la direction des tournages des reportages et interviews réalisés sous la direction de Miguel Herberg en 1973 et 1974 au Chili, est de toute évidence le résultat d’un accord entre les trois. Meilleur témoin de leur imposture, Peter Hellmich s’est vu reconnaître comme co-auteur en échange de son silence. Le nom de Peter Hellmich s’est ainsi affiché comme co-auteur sur de nombreux documents dans le même caractère typographique que ceux d’Heynowski et Scheumann. Mais un « co-auteur », le seul des trois a avoir réellement participé au tournage comme caméraman, cependant tenu de se taire. À part la prétendue discussion avec Pedro Chaskel où il aurait affirmé n’avoir jamais entendu parlé de Miguel Herberg… nous n’avons pour l’instant trouvé aucune trace de ses interventions sur les films chiliens du Studio H&S.
Il faut reconnaître qu’un refus de Peter Hellmich de laisser les deux « héros » Heynowski et Scheumann s’attribuer les rôles principaux dans ces « exploits » lui aurait sans aucun doute coûté son travail au Studio H&S. Son passeport ouest-allemand – une relative protection cependant face à d’éventuelles initiatives de la STASI dont Gerhard Scheumann est réputé avoir été collaborateur actif – l’a mis en situation de négocier et il a obtenu d’apparaître comme co-auteur. Rappelons qu’il n’était pas d’usage dans le monde du cinéma et du documentaire – à l’Est, comme à l’Ouest, et pas plus aujourd’hui –, d’afficher le nom d’un caméraman, dont le rôle s’est strictement limité à filmer, comme co-auteur d’un documentaire.
Le rôle de Peter Hellmich au Chili était celui d’un caméraman strictement confiné à cette tâche : faire tourner une caméra dans des situations dont Miguel Herberg avait l’initiative. La marge de manœuvre d’Hellmich pendant les interviews était d’autant plus réduite qu’il ne comprenait pas l’espagnoll. Pour épaissir son rôle afin de justifier un affichage comme co-auteur, Heynowski et Scheumann lui ont attribué dans les génériques celui de documentaliste « Peter Hellmich : jefe de camera y documentación« .
Comme le soulignait Jacqueline Mouesca « les films les plus importants [de Heynowski et Scheumann] sont La guerra de los momios, Yo fui, yo soy, yo seré, et El golpe blanco, qui forment une trilogie où les cinéastes parviennent à montrer le coup d’État militaire depuis ses trois angles principaux : les préparatifs et antécédents, son exécution et ses conséquences« . Observons les génériques de ces trois films, d’abord en entrée, puis le générique de fin :
Ces trois films, les trois premiers consacrés au Chili, installeront Heynowski et Scheumann dans le panthéon des documentaristes. Dès le premier de ces trois films, La guerra de los momios, Peter Hellmich apparaît en entrée comme co-auteur. Dans le générique de fin, sont distingués Heynowski & Scheumann pour le scénario et la direction et Peter Hellmich comme chef cameraman et documentaliste. Une documentation dont il n’a jamais eu la charge et qu’il aurait été d’ailleurs bien en peine de réunir à cause de la barrière de la langue.
Sur les génériques, le sort de Miguel Herberg est réglé en deux étapes : son nom est cité tout à la fin du générique du premier film, La guerra de los momios : « Colaboración en Chile » (Arbeit in Chile, dans la version originale allemande »), une mention qui ne rend déjà aucunement compte de l’importance de sa participation. La deuxième étape verra son nom disparaître… Il ne réapparaîtra jamais dans aucun des neuf films et courts métrages suivants de H&S sur le Chili. L' »exploit » de Chacabuco et Pisagua, traité dans le second film d’H&S, Yo he sido, yo soy, yo seré, ne saurait avoir comme premiers héros que Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, héros communistes de la RDA.
Notons que cette seule mention de Miguel Herberg dans ce générique fait litière de l’affirmation de Mathias Remmert colportée par Isabel Mardones, Patricio Guzman, Ricardo Brodsky et d’autres selon laquelle Miguel Herberg n’était pas au Chili en 1973. Bon gré mal gré, Peter Hellmich a marché dans cette combine où il a trouvé des avantages certains. Mais nous doutons qu’à un festival de Leipzig, Hellmich soit allé jusqu’à affirmer à Pedro Chaskel n’avoir jamais entendu parler de Miguel Herberg (Chaskel : « de Miguel Herberg no había oído nunca« ). Une telle affirmation d’Hellmich à Chaskel est d’autant moins crédible, qu’outre les apparentes bonnes relations que maintenaient Herberg et Hellmich sur le terrain au Chili, ce dernier savait parfaitement qu’Herberg l’avait pris en photo à plusieurs occasions comme en témoigne notamment la planche contact ci-dessus. Un faux-témoignage de Chaskel est le plus vraisemblable.
En 2012, via Mathias Remmert et Isabel Mardones, et en 2013 à travers les propres déclarations de Walter Heynowski au journal Neues Deutschland (11-09-2013), Peter Hellmich a pris du galon. L’absence d’Heynowski et Scheumann enfin avouée, Peter Hellmich est devenu l’homme-orchestre de ces reportages, l’unique journaliste maître-espion des documentaires d’H&S sur le Chili. Mais toujours aussi taiseux, Peter Hellmich s’est bien gardé d’intervenir. Gerhard Scheumann est mort en 1998, Walter Heynowski vit toujours et, nous le pensons, Peter Hellmich aussi. En attendant qu’il parle enfin, voici deux autres photos prises par Miguel Herberg en 1973 au Chili où il apparaît.
Si un journaliste, ou un chercheur, arrivait jusqu’à Peter Hellmich et était capable de lui poser les bonnes questions, Hellmich serait obligé de reconnaître son rôle strict de caméraman en moins de deux minutes. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a jusqu’ici refusé toute interview.
Peter Hellmich et son double, le prisonnier de guerre A. Peter
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Ajoutons ce témoignage personnel à propos de Peter Hellmich et Miguel Herberg. Isabel Santi et moi-même les avons rencontrés le 4 mars 1973, à la gare Mapocho de Santiago du Chili. Peter Hellmich filmait sous la direction de Miguel Herberg le déroulement des élections législatives (photo ci-dessus).
Isabel Santi avait reconnu Miguel Herberg pour l’avoir rencontré à Paris dans les années 60. Pour ma part je le voyais pour la première fois.
Dans la semaine qui a suivi ces élections, nous avons passé Isabel Santi, Miguel Herberg, Peter Hellmich et moi-même, une soirée au Black and White, un boliche, au centre de Santiago, apprécié des amateurs de tango. Une soirée au Black and White avec Herberg et Hellmich dont la photo ci-dessus en est la trace : compagnon sympathique, Peter Hellmich ne parlait pas un mot d’espagnol et c’est dans un anglais approximatif qu’il a suggéré les réglages d’ouverture et vitesse à Isabel pour prendre une photo sans flash avec un appareil Pentax qu’elle commençait à apprivoiser.
Nous reverrons à plusieurs reprises Herberg et Hellmich ensemble pendant le mois de mars 1973, notamment dans la chambre qu’ils partageaient à l’Hôtel Carrera – une chambre avec vue sur La Moneda, la même, ou une chambre très semblable, d’où Hellmich enregistrera avec sa caméra le 11 septembre 1973 un des rares films de l’attaque et l’incendie du palais présidentiel.
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