Hanns Stein a beaucoup menti

Mémoire et histoire,

Hanns Stein, Santiago, juillet 1973. Photo prise par Miguel Herberg à l'hôtel Carrera.

Hanns Stein, Santiago, juillet 1973. Photo prise par Miguel Herberg à l’hôtel Carrera.

Comment Hanns Stein a-t-il pu laisser dire en 2012 que Miguel Herberg n’a jamais été au Chili en 1973. La photo ci-contre qui le représente a été prise fin juillet 1973 – le jour des obsèques du commandant Araya à la Moneda – par Miguel Herberg dans la chambre qu’Herberg partageait avec Peter Hellmich, le cameraman, à l’Hôtel Carrera !

En réalité, Stein a toujours menti à propos des tournages au Chili des documents utilisés par le Studio H&S pour réaliser leurs films. Plus précisément, comme Heynowski et Scheumann, Stein a  distillé quelques bribes de vérité pour donner plus de crédibilité à un scénario mensonger construit pour ignorer l’existence même de Miguel Herberg.

Isabel Mardonnes cite Hanns Stein dans deux textes. Co-signataire avec Mónica Villarroel de l’ouvrage « Señales contra el olvido » (Editorial. Cuarto Propio. 2012), elle est l’auteur principale du chapitre « Heynowski & Scheumann en Chile« . Isabel Mardones est aussi l’auteur d’un texte « Acerca de Miguel Herberg » qui traite des conditions de réalisation des films d’Heynowski et Scheumann sur le Chili.
Isabel Mardones cite brièvement Stein dans le texte « Acerca de Miguel Herberg »  – mis en ligne le 13 mars 2012 par le Museo de la Memoria avec une déclaration signée par Ricardo Brodsky, Ignacio Aliaga et Luis Horta – où la parole est surtout donnée à Mathias Remmert, le producteur des films d’H&S sur le Chili.
Le récit dont Hanns Stein est un héros
Isabel Mardones cite beaucoup plus longuement Hanns Stein dans le chapitre « Heynowski & Scheumann en Chile » de son livre Señales contra el olvido. On trouve des éléments du récit d’Hanns Stein pages 134, 135, 136 et 139 de cet ouvrage. Pas une seule des interventions d’Hanns Stein ne respecte la vérité.
Page 135 de "Señales contra el olvido" (Isabel Mardones, 2012). Hanns Stein et les frissons de l'aventure... Un récit de pure imagination où on voit Stein  sauvé par le trio León Vilarín + Onofre  Jarpa + un général putchiste... Un "témoignage" qu'accrédite sans précaution Isabel Mardones.

Page 135 de « Señales contra el olvido » (Isabel Mardones, 2012).
Hanns Stein et les frissons de l’aventure…
Un récit de pure imagination où on voit Stein sauvé par le trio León Vilarín + Onofre Jarpa + un général putchiste…
Un « témoignage » qu’accrédite sans précaution Isabel Mardones.

À titre d’exemple, prenons cet épisode (ci-contre, le texte original en espagnol extrait du livre d’Isabel Mardones) de la grève des camionneurs de juillet 1973 où Hanns Stein n’a pas résisté à l’envie de jouer au héros et de se placer au cœur du danger.

On l’y voit prétendre avoir accompagné comme interprète Peter Hellmich et Manfred Berger – dont, en effet, ni l’un ni l’autre ne parlent un mot d’espagnol – dans le tournage des funérailles d’un camionneur mort des suites des violences qui ont éclaté lors de la grève des transports routiers.

Une équipe de tournage, composée de Peter Hellmich et Manfred Berger, se serait donc déplacée avec leur interprète Hanns Stein dans le taxi de leur chauffeur habituel, un militant communiste, comble d’imprudence, revolver et carte du parti dans la poche.

Reconnu par les grévistes, le camarade chauffeur de taxi se serait enfui à pied en les laissant dans la voiture à la merci des grévistes. Près de subir un mauvais sort, Hellmich, Berger et Stein auraient alors été sauvés par l’arrivée providentielle de León Vilarín, le leader du gremios des camionneurs, encadré d’Onofre Jarpa, le président du Parti national et d’un général putschiste ! Les trois sauveurs auraient reconnu Hellmich et Berger qui les avaient déjà interviewés, les auraient sauvés du lynchage et auraient mis une voiture à leur disposition pour rentrer à l’Hôtel Carrera.

Hanns Stein, Peter Hellmich et Manfred Berger convoyés par un chauffeur de taxi armé, entourés de camionneurs menaçants, et enfin sauvés par un trio formé de Léon Villarin, Onofre Jarpa et un général Putschiste ! Ces scènen n’ont existé que dans l’imagination héroïsante d’Hanns Stein.

Pour inventer cette scène, Hann Stein a utilisé des informations qu’il a probablement  recueillies auprès de Miguel Herberg et Peter Hellmich. Certaines informations ont été transformées et ré-ordonnées et d’autres soigneusement dissimulées. Là encore, les archives de Miguel Herberg donnent les clefs de cet épisode. L’analyse conjointe des photos et planches contacts d’Herberg avec ses agendas est particulièrement éclairante. S’il fallait ajouter un détail qui prouve l’imagination débordante d’Hanns Stein, il suffirait de préciser que Manfred Berger – il n’y a aucun doute à ce propos – n’était pas au Chili à ce moment là, ni en juin, ni en juillet, ni en août 1973.

Avant de présenter les pièces des archives de Miguel Herberg, reprenons le bref récit d’Hanns Stein cité par Isabel Mardones. Il commence ainsi :

« Peter Hellmich est arrivé au moment de la grève des camioneurs. La grève d’octobre 1972 avait été réglée et après une autre grève est arrivée et a pratiquement durée jusqu’au coup dÉtat. »

Cette deuxième grève des camionneurs évoquée par Hanns Stein est celle déclarée officiellement par León Vilarín le 25 juillet 1973 alors que les grévistes avaient déjà commencé à regrouper leurs camions les jours précédents. Peter Hellmich avait en effet débarqué une semaine auparavant à l’aéroport de Pudahuel pour un second passage au Chili, après son premier séjour de février-avril. Mais contrairement à ce qu’implique la suite du récit d’hanns Stein, Peter Hellmich n’a pas débarqué avec Manfred Berger mais avec Miguel Herberg-Hartung dont il était le caméraman. En juillet 1973, Manfred Berger n’avait encore jamais posé le pied au Chili, sa présence n’y est prouvée qu’en janvier et février 1974, en compagnie de Miguel Herberg et Peter Hellmich, à l’occasion des fameux reportages sur Chacabuco et Pisagua.

Deux planches contacts de photos prises par Miguel Herberg en juillet 1973. Les photos de la grève des camionneurs précèdent celles des funérailles du commandant Araya (première planche). Suite des funérailles et photo d'Hanns Stein (deuxième planche). Les deux photos entourées en jaune sont ci-dessous.

Deux planches contacts de photos prises par Miguel Herberg en juillet 1973.
Les photos de la grève des camionneurs précèdent celles des funérailles du commandant Araya (première planche). Suite des funérailles et photo d’Hanns Stein (deuxième planche).
Les deux photos entourées en jaune sont ci-dessous.

Les photos, planche de contacts et agendas des archives de Miguel Herberg permettent de comprendre comment Hanns Stein a construit un récit dont il est un des héros en assemblant à sa manière une série d’informations dont il a eu connaissance.

Ces deux planches se suivent. Sur la première, une série de photos sur un regroupement des camions des grévistes surveillé par les carabineros, précèdent celles des funérailles du comandante Arturo Araya, aide de camp de Salvador Allende assassiné dans la nuit du 26 au 27 juillet 1973.

Photos de Miguel Herberg (planches contacts ci-dessus) : photo de la grève des camionneurs (première planche contact) et portrait d'Hanns Stein (dernière photo de la deuxième planche contact).

Photos de Miguel Herberg (planches contacts ci-dessus) : photo de la grève des camionneurs (première planche contact) et portrait d’Hanns Stein (dernière photo de la deuxième planche contact).

Les photos de la seconde planche de contact montrent la suite de la cérémonie et l’exposition du cercueil dans un salon du Palais de La Moneda. La planche s’achève par trois photos prises depuis la chambre de l’Hôtel Carrera que partagent Miguel Herberg et Peter Hellmich : deux photos de la place et du palais de la Moneda où l’on voit les chiliens faire la queue pour rendre un dernier hommage au commandant Araya et la photo d’Hanns Stein, en visite dans cette même chambre d’Herberg et Hellmich de l’Hôtel Carrera.

La date de l’assassinat du comandant Araya ne souffrant aucune discussion, on peut en conclure la période des photos des camionneurs en grève et de celle d’Hanns Stein et aussi qu’un laps de temps réduit sépare ces prises de vue. Hanns Stein a donc rencontré Miguel Herberg et Peter Hellmich à la fin du mois de juillet, probablement le jour même des funérailles du commandant Araya et donc peu de temps après qu’Herberg et Hellmich aient filmé les camionneurs en grève.

L'agenda de Miguel Herberg ouvert aux dates du 26 et 27 juillet 1973. Le 26 à 15h, interview d'Onofre Jarpa. Le 27, entretiens avec le   Général Alfredo Canales à 9h30 et León Vilarín à 11h. À la date du 27, sur la page de gauche, mention de l'assassinat du commandant Arturo Araya, aide de camp (Marine) de Salvador Allende).

L’agenda de Miguel Herberg ouvert aux dates du 26 et 27 juillet 1973.
Le 26 à 15h, interview d’Onofre Jarpa. Le 27, entretiens avec le Général Alfredo Canales à 9h30 et León Vilarín à 11h.
À la date du 27, sur la page de gauche, mention de l’assassinat du commandant Arturo Araya, aide de camp (Marine) de Salvador Allende).

Par ailleurs, on trouve dans les agendas de Miguel Herberg aux dates du 26 et 27 juillet 1973 les traces d’Onofre Jarpa, de León Vilarín et du général putschiste mis en scène par Hanns Stein pour les sauver dans un scénério dont il était un des héros :  un rendez-vous le 26 juillet à 15h avec « Jarpa » (rendez-vous obtenu par Miguel Herberg grâce à l’appui de Juan Luis Ossa, et des rendez-vous le 27 juillet à 9h 30 avec « Canales » – le général Alfredo Canales, général factieux, déjà impliqué dans un complot en 1972 – et à 11h avec « Villarin », le président du gremio des camionneurs.

De toute évidence, de bribes d’informations glanées auprès de Miguel Herberg et Peter Hellmich sur leur tournage de la grève des camionneurs et leurs rendez-vous avec Jarpa, Villarin et le général Canales, Hanns Stein a monté une seule histoire avec un scénario où ses trois derniers arrivent au bon moment pour le sauver du lynchage par les camionneurs grévistes : une belle histoire a raconter…

Planche contact de photos prises par Miguel Herberg. De bas en haut, une parfaite correspondance avec son agenda : L. Corvalan assis à côté de MG Incháustegui, de même L. Figueroa et J. Gazmuri, puis A. Sepulveda au micro. Plus haut, O. Jarpa et P. Aylwin.

Planche contact de photos prises par Miguel Herberg.
De bas en haut, une parfaite correspondance avec son agenda :
L. Corvalan assis à côté de MG Incháustegui, de même L. Figueroa et J. Gazmuri, puis A. Sepulveda au micro. Plus haut, O. Jarpa et P. Aylwin.

photos et agenda, la double preuve

Cet épisode confirme l’intérêt de travailler à partir des planches contacts d’Herberg – qui facilite le repérage de la chronologie des prises de vues  – et de croiser ces informations avec le contenu de ses agendas.

À la date du 26 juillet, sur la page de gauche de l’agenda dans une sorte d’encadré, on note  les noms de Corvalan (Luis Corvalán, le Secrétaire général du parti communiste chilien), Mario García Incháustegui, ambassadeur de Cuba, Adonis Sepulveda, « subsecretario del Partido socialista », Figueroa (Luis Figueroa, secrétaire de la CUT – Centrale unique des travailleurs) et Jaime Gazmuri du MAPU. La mention »fotos » figure en bas de cette courte liste. Sur la page qui lui fait face, on trouve la mention de l’entretien avec Jarpa, et à la page suivante – page de gauche à la date du 27 juillet, le nom de Patricio Aylwin, Président de la DC (et favorable au coup d’État).

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